De la transmission
50 ans dans la vie d’une ferme… Haute Savoie, 1972 : la ferme des Bertrand, exploitation laitière d’une centaine de bêtes tenue par trois frères célibataires, est filmée pour la première fois. En voisin, le réalisateur Gilles Perret leur consacre en 1997 son premier film, alors que les trois agriculteurs sont en train de transmettre la ferme à leur neveu Patrick et sa femme Hélène. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le réalisateur-voisin reprend la caméra pour accompagner Hélène qui, à son tour, va passer la main. A travers la parole et les gestes des personnes qui se sont succédé, le film dévoile des parcours de vie bouleversants où travail et transmission occupent une place centrale : une histoire à la fois intime, sociale et économique de notre monde paysan. On connaît bien les documentaires de Gilles Perret, depuis 2016 et La Sociale suivi de 3 autres en collaboration avec François Ruffin. En 2021, il va faire une échappée – très réussie – du côté de la fiction avec Reprise en main. Ces 90 minutes marquent son retour vers le documentaire. Retour parfaitement réussi.
En 1972, Marcel Trillat avait filmé les Bertrand pour un de ses films destiné à la télévision. 26 minutes tournées en 16 mm et réalisées dans le cadre d’une association qui s’appelait Télé promotion rurale.
5 ans après, Gilles Perret, en voisin, va réaliser son 1er docu, Trois frères pour une vie, qui est hélas passé sous les radars. Et rebelote, de nouveau 25 ans plus tard, quand il a appris qu’Hélène allait bientôt prendre sa retraite, et qu’ils investissaient donc dans des robots de traite…D’où la toute première séquence du film. La bonne idée de ces 90 minutes, c’est d’avoir entremêlé avec habileté les 3 films consacrés sur 50 années à cette famille Bertrand. Pour montrer l’évolution de la pénibilité du travail sur un demi-siècle, on passe de l’image des trois frères cassant des cailloux en 1972, jusqu’à l’arrivée des robots de traite aujourd’hui. On peut toujours, vu de l’extérieur, critiquer la mécanisation des travaux des champs, mais quand on entend Hélène dire qu’elle a les épaules et les mains défaites et que les robots la remplaceront avantageusement, qui sommes nous pour les juger ? Cette constatation venant de ce cinéaste dont l’engagement dans la gauche écologique ne peut pas être mis en doute, sonne comme une vérité. Même si, dans l’objectif de toujours plus de productivisme, les patrons en ont profité pour accélérer les cadences. Ce n’est de toute évidence pas le cas chez les Bertrand. Pour eux, même difficile, c’est la vie qu’ils ont choisie en toute lucidité, une vie de passion qu’ils aiment et qu’ils défendent contre vents et marées. - Emotion garantie, en particulier quand l’oncle André est à l’écran -. Un film très fort, à rebours des raccourcis et des reportages sensationnalistes, des péroraisons et récupérations politiques de tous poils. Un bijou en forme de kaléidoscope plein d’espoir malgré tout.