Le mal n’existe pas. C’est le titre du film. Mais c’est aussi ce que j’ai lu de Marie-Louise Von Franz , disciple de Jung, il y a à peine quelques jours. Le mal n’existe pas, c’est une question de regard, et de contexte. C’est ce qu’elle dit. Un meurtrier qui aurait tué Hitler serait un héros. Il aurait tout de même tué un homme. Il en va de même pour le héros de ce film.
Protéger sa communauté, son environnement, défendre sa fille. Au prix de la vie d’un homme, de celui qui vient rompre l’équilibre. Car c’est ainsi que cela se passe dans la nature : Le cerf – lorsqu’il est blessé, s’il n’a pas la force de fuir, peut attaquer un humain qui s’approcherait de trop près. Il attaquerait un être humain également si un de ses proches est blessé.
C’est ce que Takumi explique aux gens de la ville, ceux de l’agence de pub : Takahashi et son acolyte féminin lors d’un trajet en voiture au retour d’une mission de récupération de l’eau à la source pour la préparation des udons. Alors qu’on commence à s’attacher tendrement à ces deux personnages qui semblent se rendre compte de la vacuité de leur existence et qui imaginent changer de cap dans leur vie pour rejoindre la communauté de ces gens dans la montagne. Subitement l’ancrage à la culture et leur mission première refait surface : leur projet de glamping (qui passe au milieu du chemin des cerfs et dont les eaux usagées de 5 personnes se retrouveraient dans leur source ) semble repasser au premier plan après pourtant la découverte d’une once de cette vie, la sensation de libération dans l’acte presque martial de couper du bois à la hache, avec le pied d’appui en avant, en laissant simplement retomber la hache, « je me suis pas senti aussi bien depuis que j’ai eu 10 ans » : un rappel de la force de la nature comme de l’innocence de l’enfant qui est saccagée par notre culture du capitalisme. Là-haut la vie est sobre est dépouillée, à l’image des paysages montrés.
L’ambiance du film est de prime abord posée par l’acoustique, par les contrastes de bruits forts et soudains puis de nouveau le calme. L’on voit L’homme du village, l’homme à tout faire de dos avec sa tronçonneuse en train de couper du bois, un tronc en 3 morceaux. Ce brouhaha semble annoncer la colère vrombissante à l’instar du moteur de voiture provenant de la ville, des villageois qui vont se voir imposer un projet touristique non respectueux de la nature et donc de la communauté qui subvient à ses besoins grâce à cette nature quasi intacte. Mais là où l’on prendra de trop à la nature, il faudra en payer le prix, telle est la menace qui plane autour du projet touristique de Glamping.
Le réalisateur ne cesse de faire apparaître, de près ou de loin les cerfs qui cohabitent. On les voit, on en parle, on suit ses traces de pas, on entend le coup de feu qui les chasse. Le cerf d’après certains, non seulement est un animal totem puissant dans l’imaginaire religieux depuis plusieurs siècles, mais pourrait notamment symboliser la mort et la renaissance, ou bien un dieu qui aurait le pouvoir de vie et de mort.
Personnellement j’interprète ce cerf comme une allégorie du rapport de l’homme à la nature. Il est omniprésent, jusqu’au point culminant du film où il se fond entre la réalité et le rêve afin de ne plus discerner de limites entre ce qui existe ou non. Takumi et le cerf ne sont qu’un. Ils sont la métaphore l’un de l’autre. Hana, la petite fille en est la personnification, l’innocence, le cœur sauvage de la même nature que le cerf, elle devient le cerf , à la fin du film. Elle lève son chapeau « son bonnet », s’incline devant cette vie sauvage que l’on ne peut brimer sans conséquences, elle lui donne sa vie et lui rend son âme.