Attention spoiler ! La fin est discutée en bas de cette critique, faites attention si vous ne voulez pas la lire.
Le thème du film est un projet touristique dans une région immaculée de la campagne japonaise, et plus exactement ses conséquences possibles.
Le postulat est que l'invasion de touristes ignorants et inconscients, même pétris de bonnes intentions et ouverts à la vie près de la nature, perturbe de façon intrinsèquement dangereuse l'équilibre délicat entre cette communauté et la nature.
En d'autres termes, l'inconscience est dangereuse.
Ce postulat de danger va être démontré dans un meeting entre la communauté et les représentants des développeurs. Puis il sera illustré par l'histoire de Takumi et d'Hana, sa petite fille.
Au plan collectif, on voit que le projet touristique de glamping est construit sur un manque de conscience touchant un mauvais rapport d'intégration des nouveaux venus, les touristes, dans cet environnement naturel ; l'eau sera empoisonnée par une fosse sceptique mal placée, risquant de mettre en danger la vie des locaux en polluant leur eau de source. Les touristes eux-mêmes risqueront d'être en surnombre par rapport à l'infrastructure. De plus, le site sera placé sur le chemin des cerfs, ce qui nécessiterait une barrière de sécurité de trois mètres de haut qui ne sera pas construite. Tout est mal pensé, non seulement par appât du gain mais par manque de conscience et de connaissances.
L'histoire d'Hana et Takumi illustre tristement ce qui constitue un tel enchaînement de causes et de conséquences.
Takahashi et Mayuzumi, les concepteurs qui ont initialement présenté ce mauvais projet, représentent symboliquement l'ignorance aveugle et sans méchanceté des touristes ("Le mal n'existe pas"). Quand ils reviennent chez Takumi pour reprendre la discussion sur le projet, ils sont en fait déjà convaincus de sa nocivité et espèrent changer de vie et s'installer dans le village.
Mais on voit très vite que leur seule présence entraîne des conséquences problématiques : pas assez de place pour les deux voitures, ils doivent se regrouper dans celle de Takumi ; pas assez d'eau, ils doivent aller en chercher en dehors du cycle normal après ces repas supplémentaires au restaurant ; pas assez d'argent, il en manque un peu à Takumi pour payer leur repas, alors qu'habituellement il en a suffisamment.
Par cette visite de quelques heures, tout est perturbé.
De plus, par leur seule présence, ils mettent Takumi en retard pour aller chercher sa fille à l'école. Un retard plus long que d'ordinaire, qui fait que, rentrant seule à travers bois comme.elle en a l'habitude, cette fois elle reste introuvable.
On va voir ainsi que la seule présence de nouveaux venus non intégrés naturellement peut mettre les habitants en danger, que la mort peut survenir au moindre hasard, représenté par des chasseurs qu'on ne voit jamais mais qui déclenchent le point de risque. Et en fait c'est de cela qu'il est question. En raison de notre ignorance, on ne sait pas à quel point la nature peut être inéluctablement dangereuse quand on la perturbe, parce qu'on ignore les lois des causes et des conséquences.
Dans le film, seul Takumi a cette conscience, cette perception. Du début à la fin, nous voyons sa profonde compréhension de la nature, la façon dont il est en harmonie avec son rythme. C'est ce qui donne au film sa lenteur, mais cette lenteur est nécessaire, voire indispensable, pour faire comprendre et ressentir à quel point il faut ralentir son rythme de vie pour parvenir à se mettre en phase avec la nature, faute de quoi on reste à l'extérieur, on ne peut pas ni la comprendre ni s'y intégrer.
Takumi en connaît les clés et les dangers. Il est d'ailleurs présenté par le chef du village lui-même comme celui qui sait, le seul qui pourra prendre la bonne décision et donner les bons conseils. On voit aussi que jour après jour, il transmet ce savoir à sa fille, il lui montre comment reconnaître et décoder les signes. Il a confiance en elle et en sa conscience naissante.
Quand takumi et Takahashi trouvent Hanah, donc, après plus d'une journée de recherche, elle est au bord du point d'eau. Elle est devant trois cerfs, dont l'un est blessé, donc risque de charger et de la tuer. Ils se regardent. Ni elle ni lui ne bougent. Il est probable qu'elle est restée dans cette position pendant toutes ces heures où on la cherchait, patiente, attentive et fascinée, consciente du danger qu'elle connaît et qu'elle évite en restant immobile.
Le cerf n'a pas chargé. Quand la communion est pleinement établie entre lui et elle, elle peut enfin s'avancer sans danger. Elle ôte son bonnet et se met à marcher vers lui, calmement et sans crainte.
Son père comprend immédiatement la situation exceptionnelle dont Takahashi et lui-même sont témoins. Il sait et indique qu'il ne doivent surtout pas s'avancer ni faire de gestes brusques.
Takahashi, lui, ne comprend pas.
Dans son ignorance, il s'élance pour aider la petite fille, et ce mouvement brusque effraie les cerfs et déclenche l'attaque du cerf blessé sur la fillette.
On voit qu'en fait, le danger n'est pas la nature mais l'intrus.
Takumi tente de stopper Takahashi de la façon la plus radicale qui soit, en se jetant sur lui pour le tuer. Sans haine - on le voit au regard qu'il lui jette. "Le mal n'existe pas" dans la nature. Mais pour supprimer le danger immédiat qu'il représente.
Quand il se relève, les cerfs sont partis et Hana est allongée, inconsciente. Il se précipite pour aller la chercher. Elle semble morte, le sang lui coule du nez, mais les narines frémissent - elle respire, à peine. Il l'emporte dans ses bras, sans plus se soucier de Takahashi. Il marche, longuement, dans la nuit, à bout de souffle, en espérant la sauver.
On ne sait pas si elle va vivre, si Takahashi va vivre, si le village va vivre.
Cette fin se déroule symboliquement dans l'obscurité, parce qu'on ne peut pas savoir ce qui se passe quand un équilibre est rompu, quand un hasard survient, quand on fait le mauvais geste.
Quand on construit aveuglément un projet mal pensé.
Quand on agit aveuglément sans penser aux conséquences.
Personne n'est foncièrement méchant, le mal n'existe pas, il est une conséquence de l'ignorance et de l'inconscience...