Allez, je me risque à écrire quelques mots à l'adresse d'un film qui - je peux le dire sans me tromper - marque un tournant dans ma vie de cinéphile, et même dans ma vie d'être humain. Dans la Chambre de Vanda ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir auparavant, aussi bien dans la fiction que dans le documentaire : c'est un moment de cinéma décisif, une date. C'est - comme il est écrit un peu partout sur le net, dans les revues spécialisées et dans les livres - l'un des films les plus importants des années 2000 et - à mon sens - l'un des films les plus extraordinaires de tous les temps. C'est pourquoi ce petit billet allocinéen perdu parmi des centaines d'autres petits billets bien proprets, bien comme il faut, ne suffira pas à exprimer l'admiration sans bornes que je porte à l'égard de Pedro Costa, à son extrême intelligence, à son immense talent et à sa grandeur d'esprit. C'est bien simple : je n'avais jamais vu par le passé un film aussi terriblement dévastateur sur le plan physique que fondamentalement moderne sur le plan purement cinématographique. Des chocs de la trempe de Dans la Chambre de Vanda n'ont effectivement pas besoin de jouer des coudes pour se démarquer du troupeau, puisqu'ils sont rarissimes ( quels sont-ils : Orange Mécanique ? Salo ou les 120 Jours de Sodome ? Satantango ? et quoi d'autre, encore ?...). Inénarrable et a fortiori honteusement méconnu Dans la Chambre de Vanda est un bloc filmique redoutable, souvent péniblement regardable, écoeurrant voire même vomitif. Pedro Costa a en effet posé sa caméra DV dans les ghettos d'une banlieue portugaise où la drogue, la souffrance, la solitude et la misère servent de quotidien aux laissés-pour-compte. A partir d'un dispositif simple comme la Genèse - caméra imperturbablement fixe, longues séquences tournées en un minimum de plans, acteurs qui n'en sont pas... Pedro Costa livre une véritable expérience émotionnelle pour le spectateur, ce dernier se trouvant littéralement plongé dans un monde particulièrement délabré, ravagé, comme en manque physique et moral. Pendant près de trois heures d'images réellement horribles et paradoxalement superbement élaborées - lumière diffuse, courtes focales, fixité, donc - on assiste aux occupations lamentables mais devenues nécessaires de Vanda, de sa soeur et de ses proches : poudres, mégots, piqûres, alus... concentré de dépendances ultra-documenté et admirablement reconstitué par Pedro Costa, son acte filmique s'apparentant à un documentaire déguisé en fiction qui jouerait elle-même à être un documentaire. L'approche est frontale, indubitablement authentique en même temps qu'elle se nourrit d'une esthétisation étrangement belle, insolente et dérangeante. Dans la Chambre de Vanda choque, révulse et déprime carrément mais s'intègre en nous à travers chaque plan, chaque parole, chaque volute et chaque coup de pioche. C'est un film qu'il faut digérer et méditer, un film qui m'a profondément bouleversé. C'est un chef d'oeuvre.