Il y a des films qui s’oublient en sortant de la salle, et il y a Parthenope. Un de ces films qui restent dans le corps, qui s’imprègnent sans prévenir et qui, sans qu’on sache exactement comment, nous laissent un peu différents après les dernières images.
Et ce n’est pas seulement à cause de l’histoire, ni même du regard de Sorrentino sur Naples et l’Italie. C’est à cause d’elle. Céleste Dalla Porta. Parthenope.
Dès sa première apparition, elle ne joue pas : elle existe. Elle est une évidence, une fatalité. Sorrentino la filme comme un mirage qui nous hante, et pourtant on y croit. Elle a cette présence insaisissable, ce magnétisme qui fait que chaque fois qu’elle revient à l’écran, on tombe amoureux à nouveau. Comme si on l’avait oubliée entre deux scènes. Comme si on repartait à zéro à chaque regard.
C’est le genre de femme pour qui on brûle un village, pour qui on trahirait un empire, pour qui on se ferait bannir de l’Olympe. Celle qu’on aperçoit gamin dans un film et qui définit à jamais nos goûts en matière de beauté. Celle pour qui on choisit son orientation après le bac, non pas par vocation, mais juste pour la voir encore quelques années.
Et c’est là qu’est la vraie cruauté du film. On la veut inatteignable, sublime, hors du monde. Et puis, parfois, elle cède à un autre. Et là, c’est la frustration pure. Voir Parthenope s’offrir, ne serait-ce qu’un instant, c’est une injustice qu’on ressent au fond du ventre. On comprend Raimondo, son obsession, son vertige.
Sorrentino le sait et joue avec nous, en maître. Il étire le temps, ralentit le récit, nous enferme dans un rythme où tout est fait pour qu’on ressente cette attente, ce désir impossible. Certains diront que c’est trop lent, mais c’est précisément cette lenteur qui fait tout. Il nous oblige à savourer chaque lumière, chaque couleur, chaque silence, chaque plan, chaque réplique, chaque costume.
Et puis il y a la musique. Era già tutto previsto. Deux fois dans le film. Riccardo Cocciante, ce chanteur franco-italien qui a compris un jour que l’amour, le vrai, celui qui saigne, celui qui est un cri du cœur, ne pouvait s’exprimer qu’en italien. Il a supprimé toute sa discographie française des plateformes, tourné le dos à une langue qui ne pouvait pas porter une telle intensité, pour en choisir une où on peut chialer pour de bon. Et dans Parthenope, cette chanson ne fait pas qu’accompagner, elle scelle le film. Elle nous prend par la main et nous dit : tout était déjà prévu.
On l’entend pour la première fois sur cette scène du slow. À deux, puis à trois, puis à deux encore. Un instant suspendu, un jeu de chaises musicales où quelqu’un finira forcément seul. Une scène qui dit tout du film.
C’est là que Sorrentino excelle : quand il filme l’Italie, Naples, la beauté, la sprezzatura. Il n’a jamais été aussi bon que quand il parle de cette lumière dorée, de cet été qui semble éternel, de ces femmes qu’on ne pourra jamais attraper. Dès qu’il s’éloigne de ça (Youth, This Must Be the Place), il perd sa magie. Mais ici, il est chez lui.
Chaque année, à Naples, certains attendent que le miracle de San Gennaro se produise, guettant le sang qui se liquéfie comme un signe, une promesse d’espoir. D'autres, comme nous, attendent de même, sans certitude, mais avec la même ferveur : un nouveau film de Sorrentino.