Parthenope embrasse tout à la fois un espace précis, la ville de Naples, et une temporalité étendue, depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, choisit la chronologie à la différence d’un Federico Fellini qui préférait l’esthétique de la vignette pour explorer l’identité contradictoire et irréductible de Rome (Roma, 1972), depuis ses origines – par le filmage de fresques antiques – jusqu’aux autoroutes modernes ; choix également adopté par l’auteur Alberto Savinio, soucieux de déambuler librement dans Milan au fil des réminiscences et en dialogue permanent avec ses représentations artistiques (Ascolto il tuo cuore, città, 1944). Napolitain d’origine, Paolo Sorrentino compose une déclaration d’amour tourmentée à sa ville mal-aimée, sous-estimée voire ridiculisée par des préjugés tenaces que cristallise le discours de l’actrice qui remercie en les insultant la ville et ses habitants pour la statue qu’ils lui consacrent.
Le récit d’apprentissage adopte une approche à la fois géographique et « anthropologique », terme répété ad nauseam par étudiants et enseignants : il s’agit d’étudier, au sein d’un environnement défini, l’être humain dans sa relation à soi et aux autres suivant les différents âges qu’il traverse. Là où, dans La Grande Bellezza (2013), le cinéaste italien se faisait alchimiste en extrayant la beauté de la laideur romaine, il procède ici de façon inverse : il part des séductions faciles de la jeunesse, avec une séquence urbaine au ralenti qui esthétise à outrance minets et minettes, pour interroger la quête de la beauté véritable et profonde, celle associée à la connaissance intellectuelle. Le fils du professeur des universités figure alors cette bascule entre deux conceptions de la beauté, puisqu’il constitue le support à une façon nouvelle et éclairée de regarder, capable de convertir le Laid apparent en Beau par la métaphore
associant le gonflement des tissus à l’eau et au sel de la mer, milieu de naissance de Parthenope
.
L’eau occupe une place centrale dans le film, liée au mythe de la sirène, à l’image de l’écoulement du temps ainsi qu’à celle du sac et du ressac des souvenirs heureux ou malheureux qui fluctuent dans la mémoire. « Le temps s’écoule auprès de la douleur », affirme l’homme d’Église ; dès lors, selon la définition baudelairienne, le Beau se doit d’articuler l’éternel et le transitoire, tous les deux circonscrits dans le « trouble » que suscite notre héroïne dans le cœur et dans l’esprit des hommes. Comme Naples, elle demeure farouche et indépendante, faisant tourner la tête des hommes qui patientent, jalousent, tentent leur (mal)chance à l’image de l’hélicoptère tournoyant en vain dans le ciel dans l’espoir que la belle jeune femme se décide. Les bustes et autres têtes statuaires inscrivent Parthenope parmi les mythes qui fondent Naples, éprouvés par le temps mais toujours là.
Le maître mot du long métrage serait donc celui de résistance. Résistance sensuelle, que nécessite le désir pour advenir et s’exprimer – le récit cartographie les tabous,
de l’amour fraternel aux plaisirs de la chair pour un religieux
. Résistance idéologique face aux diktats d’une société qui ne comprend pas pourquoi une femme s’accomplit seule et sans enfants. Résistance spirituelle et intellectuelle au contact d’une éminence grise et grisonnante qui a su dépasser les apparences pour accéder à la liberté. Paolo Sorrentino signe une œuvre intelligente et personnelle, que desservent longueurs et dialogues sentencieux.