Sous une apparente simplicité narrative et formelle, Prova d’orchestra révèle des enjeux d’autant plus complexes qu’ils entremêlent une réflexion sur la musique et, plus largement, sur l’art avec un discours politique en lien avec l’actualité italienne. Le film tout entier repose sur le principe de perturbation : celle commise par les musiciens qui refusent de subir les maltraitances de leur chef d’orchestre en se révoltant contre son autoritarisme, lui opposant leurs revendications syndicales, celle subie par les musiciens eux-mêmes que vient distraire une équipe de télévision soucieuse de les interviewer, de les filmer, de les photographier – la lumière éblouissante des projecteurs en témoigne –, celle enfin qu’exerce l’extérieur, sourde, invisible mais menaçante, caisse de résonnance des préoccupations sociétales de l’époque. Ces trois niveaux de perturbation se confondent et trouvent dans la séquence de chaos finale leur apogée, rappelant au passage le dérèglement des banquets orgiaques du Satyricon (1969) ou des activités oisives de Casanova (1976).
Le choix des studios Cinecittà à Rome n’est pas dû au hasard, commun aux précédents films cités et support à une méditation mélancolique sur l’agonie d’un âge d’or que l’on exhume, ressuscite une dernière fois : la chute réitérée des partitions avant même que les musiciens n’arrivent changent ces derniers en spectres d’un passé revivifié le temps de la fiction, acte de foi placé communément en la musique et en le cinéma, tous les deux conservatoire d’éternité où dialoguent les vivants et les morts, l’ancien et le nouveau, les cultures entre elles. Le chef d’orchestre est d’ailleurs allemand, incarnation stéréotypée de l’ordre pourtant nécessaire à la conversion des individualités présentées en introduction en un collectif oubliant ses particularités et ses convictions pour se subordonner, voire se soumettre à l’art. En lui se reflètent certainement deux créateurs et amis, Federico Fellini et Nino Rota, qui prolongent ici, une dernière fois, leur collaboration de plus de vingt-cinq ans en résistance à la violence sociale – les instruments subissent eux aussi la lutte des classes ! – et au règne grandissant de la télévision. Un chant du cygne qui émeut, amuse et scandalise.