A l’origine, Orson Welles devait simplement monter un documentaire réalisé par François Reichenbach, avec pour sujet Elmyr de Hory, l’un des plus grands faussaires de tableaux du 20ème siècle. Outre De Hory, l’un des témoignages essentiels du documentaire était celui de Clifford Irving, journaliste qui avait écrit une biographie sur De Hory en 1969. Mais énorme rebondissement : pendant le montage, Welles apprend que Clifford Irving a entre-temps sorti une « autobiographie » à succès de Howard Hugues, qui s’est avérée être elle-même bidon ! La filouterie du faussaire aurait donc déteint sur son biographe… Résultat, Orson Welles reprend complètement le documentaire en main, retournant des images et le déstructurant pour réaliser « F for Fake ». Documentaire, documenteur, ou essai filmique ? Le réalisateur brouille les lignes en permanence, et utilise ces événements téléscopiques ubuesques pour livrer une réflexion sur la falsification dans l’Art. La majeure partie du film est une critique cinglante du marché de la peinture, pointant du doigt la prétention ridicule des experts, la complicité passive ou active des musées et des revendeurs, à l’aide d’anecdotes croustillantes. Si un faux est authentifié par un expert et exposé dans une galerie, peut-on dire que c’est un vrai ? Le faussaire est-il réellement coupable, ou est-ce la faute du vendeur ? La qualité d’une œuvre dépend-t-elle de sa signature ? Des réflexions qui embrayeront sur des questionnements plus larges autour des faussaires. Orson Welles faisant un parallèle avec sa propre carrière, dont son célèbre canular radiophonique inspiré du roman « War of the Worlds ». Ou évoquant le rapprochement entre l’acteur et le magicien, et la nécessité de mentir pour établir un récit. Des thèmes riches, pour un film expérimental qui ne plaira pas à tous (et qui fut d’ailleurs rejeté par la critique à sa sortie). Le montage y est génialement nerveux et déstructuré, mêlant des séquences d’archives, des interviews, des extraits de films, et des séquences tournées avec des acteurs, avec un rythme infernal et des arrêts sur image très fréquents. Sans compter des insertions régulières de Welles. Car il ne se contente pas de faire la narration classe avec sa voix caverneuse, mais apparait régulièrement, s’adressant directement au spectateur avec amusement depuis sa salle de montage ou des lieux publics. Un procédé parfois un peu pompeux, notamment avec ces passages avec Oja Kodar, le compagne de l’époque de Welles, qui sont surfaits. Mais les interventions de Welles ajoutent globalement beaucoup au récit et aux idées. Cependant, tout semble mené pour maintenir le spectateur dans le brouillard. Les faits sont volontairement emmêlés (il est préférable de se renseigner sur le sujet du film plutôt que de le découvrir à froid !). Et de nombreux passages sont tout simplement faux (!), de manière explicites (aveux de Welles) ou non (certaines images interviews sont clairement accolées pour donner l’illusion d’une conversation). Mais cela s’inscrit pleinement dans le propos du film, et finalement peu importe que les faits et les conversations soient réels ou non. Ce qui importe ici ce sont les idées amenées, sur le rapport entre l’Art et le mensonge, qui sont toujours pertinentes à l‘heure des Fake News et de la désinformation… On pourrait même dire que la forme du film anticipe les vidéos Youtube, les meilleurs influenceurs usant de techniques similaires (montage nerveux multi-sourcé et intervention face caméra). Orson Welles, influenceur incompris avant l’heure ?