Mais qu'arrive-t-il à Hyeon-soo ? Depuis quelques nuits, Soo-jin assiste, impuissante, aux comportements nocturnes de plus en plus étranges de son compagnon, visiblement pris de crises de somnambulisme aiguës qui vont jusqu'à mettre en danger l'intégrité de sa personne et rendre cette jeune femme enceinte inquiète pour sa propre sécurité...
Là où, avec un tel pitch, une majeure partie des productions US d'épouvante aurait choisi un couple de protagonistes traité avec un classicisme dramatique usé jusqu'à la corde, juste bon à nous faire doucement bailler par sa manière d'aborder sur un ton uniforme leurs développements traumatiques prêts à se conjuguer à l'arrivée de phénomènes inexpliqués, la magie du cinéma sud-coréen et sa capacité à naviguer entre gravité et légèreté avec une aisance toujours aussi épatante parvient à dresser en trois, quatre coups de pinceaux (quelques gestes d'affection complices, des sourires du quotidien et, bien sûr, le comportement aléatoire glaçant de Hyeon-soo durant la nuit) le portrait d'un couple instantanément attachant, pour lequel notre affect face à l'adversité grandissante qui les foudroie ne se démentira jamais.
Peut-être que la symbolique de fond de "Sleep" où l'arrivée d'un enfant est comme par hasard concomitante avec celle du bizarre chargé de rompre l'équilibre bien établi de ce couple moderne n'est pas des plus subtils ou surprenants dans ce qu'elle chercher à révéler d'eux à travers ces bouleversements, peut-être que le film traverse aussi des phases en forme de passages obligés dans sa progression (la chamane, les premières étapes où un conjoint s'enfonce dans l'irrationnel pendant que l'autre préfère s'accrocher à des causes cartésiennes, la possible origine du mal en elle-même qui en reste à des éléments et une enquête assez sommaires) et peut-être manque-t-il à ce premier long-métrage une maîtrise plus poussée en termes d'exécution pour provoquer des insomnies mémorables a posteriori de ses séquences d'effroi (encore qu'elles réussissent à captiver à chaque fois par le potentiel imprévisible qui en transpire)... Toutefois, et c'est indéniable, "Sleep" est transcendé par les réactions aussi confondantes de naturel que touchantes de son couple, superbement interprété par le tandem Jung Yu-mi/Lee Sun-kyun, jusqu'à en faire le coeur et l'âme d'une confrontation entre paranoïa et fantastique où, au grand barnum paranormal éculé que l'on aurait pu en attendre (seul un certain plan "rétinien" est un peu maladroit), est préféré une très bonne idée de climax, trouvant une lisière assez habile pour laisser la balance du point en vue à favoriser en équilibre tout en le poussant dans des retranchements au moins aussi extrêmes que les preuves d'amour, du besoin absolu de retrouver l'autre -cette unité à deux face aux obstacles- que chacun recouvre en réalité. Et tout cela se termine en plus sur une note judicieuse: un énième sourire pour nous renvoyer à tout ce que l'on a pu apprécier de la korean touch de ce film d'épouvante et... furieusement romantique.
Évidemment loin d'être parfait, on sent clairement une marge de progression chez Jason Yu, disciple de Bong Joon-ho, si son objectif est de rivaliser in fine avec le maître, "Sleep" n'en demeure pas moins un projet aux intentions atypiques, capable de nous faire vibrer par des émotions que l'on ne pensait pas forcément y ressentir et pour lequel, comme pour son couple, on gardera une véritable tendresse malgré les nuits très agitées vécues par Hyeon-Soo et sa compagne. Et un bel hommage au talent du défunt Lee Sun-kyun qui plus est.