Cannes 2023 - Présenté dans la section Un certain regard, "Terrestrial Verses", réalisé par Ali Asgari et Alireza Khatami, touche par sa simplicité, sa justesse et l'écho qu'il suscite en nous, ayant parfois vécu certaines des situations présentées.
Avant la projection, les réalisateurs ont brièvement présenté le film : "Ce qui s'est passé en Iran il y a 9 mois a fait que l'histoire de l'Iran peut se diviser en avant et après. Cela ne signifie pas qu'avant il n'y avait pas de résistance, il y a eu des décennies de résistance, mais ce qui rend septembre 2022 spécial, c'est qu'il y a eu un moment qui a cristallisé cette résistance, un moment d'espoir (…). Dans la poésie iranienne, il existe une technique appelée "mounadhara", qui signifie débat, où les personnages engagent un débat. Cette forme de dialogue nous a fascinés. Nous avons besoin de dialogue, plus que jamais, un dialogue qui rapproche et unit. Comment amener cette forme au cinéma ? Nous avons réalisé ce film avec d'autres amis et nous nous sommes dit que peut-être vous nous entendrez. Nous vous invitons à le voir, à écouter les histoires, nous espérons que vous pourrez réfléchir avec elles, et que vous sourirez, voire rirez, car rien ne légitimise l'absurdité de l'oppression."
À travers neuf courts sketchs, les réalisateurs présentent la vie quotidienne des Iraniens en mettant en scène des femmes, des hommes et des enfants dans des moments en apparence banals, où l'absurde vient tout perturber. Chacun de ces personnages est le héros d'un sketch, introduit par une carte titre comportant son prénom, tourné en plan-séquence fixe, lors d'une conversation avec un interlocuteur anonyme, qu’on ne voit jamais, mais qui parle d'une voix autoritaire et sévère. Dans plusieurs cas, cette « voix » représente le gouvernement bureaucratique et inquisiteur : par exemple, un fonctionnaire qui délivre les permis de conduire interroge grossièrement le citoyen sur ses tatouages, les jugeant anormaux et presque immoraux, un policier reproche à une jeune femme de conduire sa voiture sans voile pour cacher ses cheveux, un fonctionnaire de l'état civil qui enregistre les naissances reproche au citoyen le prénom choisi, trop occidental, etc.
Tous ces sketches ont un point commun : ils montrent les pires absurdités provoquées par la privation de liberté en Iran : ne pas avoir le droit de choisir le prénom de son propre enfant, ne pas avoir le droit de sortir sans voile, ne pas avoir le droit de disposer librement de son propre corps, ne pas avoir le droit de ne pas pratiquer sa religion, ne pas avoir le droit d'écrire ce que l'on veut, ne pas avoir le droit de choisir le thème de son propre film, etc.
On remarque aussi une progression dans l’âge des personnages : un nouveau-né, une enfant, une lycéenne, une jeune adulte, et ainsi de suite jusqu'à un vieillard. Cette progression symbolise avec habileté qu'un Iranien est privé de ses libertés tout au long de sa vie, de sa naissance à sa vieillesse, et qu'il ne pourra jamais vivre librement. Il s'agit d'une thématique extrêmement sombre et triste, et les deux cinéastes l'illustrent avec une forme rarement vue au cinéma. Durant chaque plan-séquence, la discussion n'est montrée que du point de vue du personnage, et l'interlocuteur n'est jamais visible. Les réalisateurs montrent ainsi la froideur et l'absence d'empathie de la société iranienne, dont le pire est ici dépeint. Et les propos de l'interlocuteur sont à chaque fois d'une violence rageante. Il n'est pas difficile d'imaginer le peuple iranien se révolter lorsque de telles scènes d'humiliation font partie de son quotidien. D'ailleurs, toutes ces petites histoires sont inspirées de témoignages réels, comme l'ont précisé Ali Asgari et Alireza Khatami avant la projection à Cannes. Et on peut facilement les croire, car de telles situations peuvent aussi se présenter dans nos pays arabo-musulmans.
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