Abbas Kiarostami, Jafar Panahi, Asghar Farhadi, Negar Azarbayjani, Mohammad Rasoulof, Sepideh Farsi, Ali Soozandeh, … A partir des années 1990, les cinéphiles français ont déroulé le tapis rouge à ces réalisateurs iraniens plus ou moins critiques du pouvoir, dont les œuvres ouvraient une fenêtre sur un pays corseté. Stupéfiant cinéma iranien…des réalisateurs privés de la liberté de circuler et de travailler…Jafar Panahi, condamné à 6 ans de prison et à une interdiction de réaliser des films ou de quitter l’Iran pendant 20 ans…et qui tourne Taxi Téhéran à la barbe des ayatollahs …Ali Soozandeh, qui s’est auto-banni pour continuer à travailler, réalisateur de Téhéran Tabou qui décrit une société iranienne schizophrène où la drogue, le sexe, la corruption et la drogue coexistent avec les interdits religieux…Sepideh Farsi réalisateur du magnifique Red Rose, interdit, tout comme ses comédiens de retour en Iran…et Mohammad Rasoulof réalisateur de ce poignant Un homme intègre … lui aussi a vu son passeport confisqué à son retour à l’aéroport de Téhéran et reste sous la menace de six années de prison…je me flatte d’avoir vu une vingtaine de ces films durant ces dix dernières années. Je ne pouvais donc manquer ces « Chroniques de Téhéran » des réalisateurs Ali Asgari et Alireza Khatami . Cinéaste iranien en exil depuis 2004, Alireza Khatami était revenu à Téhéran début 2022 dans l’espoir d’y réaliser un long métrage. Un projet mort-né après le refus des autorités de lui accorder l’indispensable permis de tournage. Les courts métrages n’étant pas soumis, eux, à autorisation préalable, le quadragénaire a décidé, avec son ami Ali Asgari, d’autofinancer dans l’urgence un autre projet : un film de fiction composé de neuf histoires, neuf plans-séquence, neufs dialogues entre deux acteurs ou actrices, l’un(e) cadré(e) en plan moyen, l’autre hors champ, avec, à chaque fois, des interprètes différents mais tous persuadés de tourner un court métrage autonome – leur cacher la vérité était le seul moyen de leur éviter des ennuis avec la police une fois que le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique (sic) aurait découvert le pot aux roses…Un homme venu à l’Etat civil pour déclarer la naissance de son fils, un cinéaste désireux de déposer une énième version de son scénario, une dame âgée cherchant son chien, une jeune femme postulant pour un emploi, une lycéenne dans le bureau de sa proviseure… Des anonymes comme autant de victimes des brimades inquisitrices et des multiples censures de la société iranienne. Et autant d’histoires courtes et cinglantes, amères ou anxieuses, écrites et filmées en plan-séquence et en un cadre unique. A chaque fois, l’incriminé(e) nous prend à témoin avec un regard face caméra, pendant que, tenus hors champ, les représentants d’un Etat liberticide cisèlent leurs coups bas…La forme est aussi forte que le fond, illustrant la peur et l’impasse des tentatives de liberté en Iran. ...Ce film sélectionné dans la section Un Certain Regard est l’un des seuls d’origine iranienne de l’ensemble du cru 2023. Alors qu’à Cannes, à Venise, à Berlin, d’édition en édition, le cinéma iranien a toujours écrit son histoire par le truchement des grands festivals internationaux, la solitude de ce film sur les écrans cannois s’explique par l’écroulement d’une économie à l’arrêt… « Chroniques de Téhéran » réussit l’exploit d’être un des films les plus subversifs dans l’histoire du cinéma iranien malgré (ou à cause de ?) une très grande simplicité dans sa mise en scène…Allez le voir !!!