Nordiste, arabe, musulmane, Mona, la trentaine bien entamée, habite une petite maison bourgeoise de Khartoum. Elle a renoncé à sa passion, le chant, sur les instances d’un mari possessif auquel elle tait sa stérilité de peur d’être répudiée. Sudiste, africaine, chrétienne, Julia vit avec son mari et son jeune fils dans un bidonville à quelques kilomètres à peine de la maison cossue de Mona.
Une tragédie malheureuse va rapprocher ces deux femmes soudanaises que rien ne prédestinait à se rencontrer.
Il n’existe quasiment pas de cinéma soudanais. À peine deux ou trois films de ce pays ont été diffusés en France ces dernières années : "Le Barrage", "Tu mourras à vingt ans", "Talking about trees"… "Goodbye Julia" est le premier film soudanais à avoir été sélectionné en compétition officielle à Cannes dans la section "Un certain regard" où il a reçu en mai dernier le Prix de la liberté.
Les films africains souffrent d’un double défaut. Le premier est la piètre qualité de leurs acteurs, souvent amateurs, et de leur direction. Le second est l’insuffisante maîtrise de leurs scénarios qui s’effilochent au bout d’une heure faute d’avoir une vraie histoire à raconter avec un début, un milieu et une fin. Goodbye Julia évite ces deux écueils. En particulier, il propose un scénario étonnant, quasiment hollywoodien avec ses rebondissements et ses coups de théâtre dignes d’une tragédie grecque. On pourra d’ailleurs à raison reprocher à Mohamed Kordofani, dont c’est le premier film, une surenchère qui repousse les limites de la crédibilité.
Ema et Julia sont entourées d’hommes qui entendent limiter leur liberté : le mari de Mona ivre de jalousie, le fils de Julia obsédé par la mémoire de son père, le nouvel amoureux de Julia qui cache sous les atours du beau militaire une violence sourde… Pour leur faire front, elles n’ont d’autres solutions que de se rapprocher dans une chaleureuse sororité – un mot bien galvaudé mais qui se justifie ici parfaitement.
Ces deux figures incarnent aussi les deux parties du Soudan qui se sont séparées en 2011, le Nord musulman, le Sud chrétien. C’est une page méconnue de l’histoire contemporaine, souvent confondue avec les massacres du Darfour, que ce film a le mérite d’évoquer. On aurait tort de reprocher à Mohamed Kordofani la nostalgie d’une unité perdue – comme Kusturica dans ses odes à l’ex-Yougoslavie. Il sait la sécession irréversible et ne donne pas à son film une autre conclusion que celle que la logique historique appelle. Mais sa dénonciation du racisme des Arabes du Nord – qui ont toujours considéré les Africains du Sud comme leurs esclaves – et son appel à une relation apaisée et fraternelle, qui évitent la mièvrerie, touchent juste.