Avec Les Femmes au Balcon, Noémie Merlant explore une hybridation audacieuse des genres et des registres, naviguant entre comédie érotique, drame social et horreur burlesque. Ce projet, à la fois intime et universel, plonge dans les méandres de la solidarité féminine et des violences sexuelles, abordés sous la lumière étouffante d’un été marseillais. Ce deuxième long métrage de l’actrice-réalisatrice s’inscrit dans une mouvance contemporaine où le cinéma devient un lieu de guérison, de dénonciation, mais aussi d’introspection.
L’histoire suit trois jeunes femmes – Nicole, Ruby et Élise – partageant un appartement lors d’une canicule qui exacerbe autant leurs tensions intérieures que physiques. Fascinées par Magnani, leur voisin énigmatique, elles franchissent un seuil symbolique – celui de leur appartement, mais aussi de leur imaginaire collectif – en décidant de lui rendre visite. Ce moment charnière fait basculer le récit dans une tonalité dramatique où l’exubérance comique initiale laisse place à une exploration plus sombre de leurs blessures.
Merlant propose un discours féministe affirmé, s’attachant à illustrer des parcours de résilience, d’émancipation et de fracture. Cependant, l’approche narrative, qui semble par moments filtrée par un regard masculin fantasmé, interroge. En tant qu’homme, ce basculement tardif évoque une dynamique voyeuriste, donnant parfois l’impression d’un peep-show à ciel ouvert où les héroïnes deviennent malgré elles des objets de désir façonnés par leur environnement. Ce choix, bien qu’intéressant, peut gêner lorsqu’on attend un positionnement plus subtil. Une similitude frappante peut être relevée avec Anora, Palme d’Or 2024, qui jouait également sur cette tension entre empowerment et mise en scène d’une vulnérabilité parfois esthétisée.
En revanche, le film excelle dans sa capacité à évoquer les thèmes du silence et de la parole retrouvée, créant un espace où les violences peuvent être exposées au risque d’être justifiées. Ce manifeste, bien qu’honorable, souffre parfois d’une certaine simplicité narrative qui limite la profondeur des idées développées.
La mise en scène frappe par son apparente désorganisation, reflet du chaos psychologique des protagonistes. À travers une photographie soignée, le film capture l’essence paradoxale de la canicule marseillaise : une chaleur écrasante qui fige autant qu’elle consume. Les performances des actrices, bien qu’effleurant parfois l’exagération, apportent une intensité émotionnelle qui compense les faiblesses du scénario.
Les Femmes au Balcon s’inscrit dans une lignée de films récents où le féminisme dialogue avec des genres longtemps dominés par des codes masculins. On pense notamment à Titane de Julia Ducournau, avec lequel il partage une volonté de déconstruire les attentes du spectateur tout en explorant des thématiques viscérales. Toutefois, là où Ducournau embrasse une radicalité sans compromis, Merlant reste plus mesurée, ce qui peut séduire autant que frustrer.
Ce film singulier, porté par une mise en scène inventive et une photographie captivante, trouve sa place dans les discussions nécessaires sur les traumatismes et la résilience. Toutefois, cette ambition est parfois freinée par un scénario qui n’exploite pas pleinement le potentiel émotionnel et narratif des thèmes abordés.
Merlant signe ici une œuvre à la croisée des chemins : entre intime et universel, entre comédie et tragédie, entre catharsis et provocation. Un cri sincère, mais dont l’écho aurait pu résonner plus intensément si la complexité narrative avait égalé sa puissance visuelle.