Condensé en 1h07, « Yannick » est un petit diamant taillé avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Du rire, à la gêne intense (qui y participe, comme à l’habitude de Dupieux), jusqu’à l’apothéose finale qui bouleverse, la palette d’émotions déployées dans ce film étonne par la densité de la forme dans laquelle elles s’expriment. Au départ, on se moque un peu de Yannick, ce spectateur un peu « plouc » qui détonne avec le reste de la salle et qui cherche avant tout le divertissement au mépris du respect des conventions sociales. On est gênés, amusés par ce besoin de rentabiliser son temps, dans un milieu - le théâtre - pourtant plutôt épargné par la mentalité « Netflix ». Et en même temps, d’emblée, Dupieux parvient à créer une forme d’empathie envers son personnage et à rendre tous ces spectateurs guindés, acceptant la médiocrité pour garder une contenance, un peu ridicules: « Il faut que les spectateurs soient de notre côté », affirme Pio Marmaï… et l’on ne sait pas bien, nous, de quel côté se placer. Dupieux cultive habilement cette ambiguïté et évite tout manichéisme en se moquant de tout le monde de manière irrévérencieuse.
Décidant de réécrire la pièce, Yannick s'octroie par lui-même la place centrale et le pouvoir qu'il n'a pas dans la vie réelle. Pour une fois, on le regarde, et on va l’écouter, grâce à cette arme qui bouleverse immédiatement les rapports de force. Après de longues moments de vide dont on se délecte, vient le moment de vérité : la pièce de Yannick est jouée par les acteurs. On rit, malgré lui, en se moquant, mais aussi car il y a, malgré tout, quelque chose de drôle, de vraiment drôle. Quand Yannick entend les spectateurs rire en réaction à son œuvre, alors c’est l’extase, les larmes, pour lui mais aussi pour nous, de l’autre côté de l’écran. On ne voit plus là qu’un enfant, tapi dans un coin, qui se délecte d’exister enfin et d’être écouté, aimé par les rires. Quand la BRI arrive au théâtre, on lui en veut d’interrompre le spectacle et de menacer cet homme-enfant que l'on aurait presque envie de serrer dans ses bras.