On peut remercier les distributeurs audacieux qui, semaine après semaine, permettent aux spectateurs français de découvrir des œuvres surprenantes concoctées dans des pays qui ont rarement droit de cité sur la carte internationale du cinéma. « Tiger Stripes » de la réalisatrice malaisienne Amanda Nell Eu est de celles-ci…Elle nous offre un objet filmé difficilement identifiable…Dans un collège de Malaisie, où la plupart des élèves sont voilées, l’insolente Zaffan, qui souvent jette son voile aux orties est ostracisée du jour où le collège apprend qu’elle a ses règles…Comment l’apprend-on, comme en France il y a des dispenses de gymnastique, là c’est dispense de salle de prières…Elle est impure !!! Mais l’héroïne de douze ans sort de sa chrysalide et réclame sa liberté d’expression. Faisant fi des injonctions à l’obéissance et au silence des filles, la donzelle revendique sa féminité mutante. Le malaise et l’avancée vers l’inconnu qu’elle éprouve ne doivent pas rester sous cloche. Alors elle parle, elle bouge, elle grogne, elle griffe., Zaffan devient, au sens propre, un monstre effrayant, ostracisé et incompris, qui se réfugie dans la jungle environnante… Rien ne l’arrête, pas même ses copines qui la lâchent, ses parents qui la briment, ou le système sociétal qui veut la ramener dans le droit chemin... Et cette hystérie devient contagieuse, et d’autres filles sont touchées par cette danse de Saint Guy…et l’appel au docteur au Docteur Rahim, mi-imam, mi-charlatan, possesseur d’un compte Facebook, Instagram et Tiktok …qui veut pratiquer un exorcisme n’y ferra rien…Amanda Nell Eu a la bonne idée de transcender son ressenti de son adolescence passée, en le passant au crible du cinéma d’horreur et de la pensée magique. Deux univers qui ont marqué son parcours et ont constitué la cinéaste qu’elle est devenue. Mais ici ce n’est plus une bête qui se transmute en humain pour intégrer la société, mais une humaine qui mue, en quête de son animalité et d’une symbiose avec la beauté de la nature…Est-ce que Amanda Nell Eu a vu « Le règne animal » ? certaines séquences y font penser…encore que plus « grand guignolesques » que le film de Thomas Cailley…. Si Amanda Nell Eu trébuche sur certains des faux pas traditionnels des premiers films (quelques scènes apparaissent redondantes ou étirées inutilement et le montage n’est pas parfait), et laisser ses actrices en herbe filmer elles-mêmes les vidéos captées par smartphone, pour mieux saisir la vérité de ces personnages juvéniles, pour l’intégrer au film n’est pas du plus heureux… Il faut savoir aussi, qu’Amanda Nell Eu s’est vue censurée pour la sortie du film en Malaisie, et qu’elle a réfuté la version tronquée sur son propre territoire. Du cinéma comme geste politique…. Ce premier long-métrage d’une réalisatrice malaisienne, mélange de genres, entre chronique sociale et fable politique, a été primé à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes l’an dernier.