Vu 2023/12/18, 17:00, Paris, MK2 Quai de Seine. 100% recommande ! Le côté N&B est très agréable esthétiquement. Le plan-séquence unique est très bien réalisé. Si un plan-séquence unique aussi long est une prouesse technique, la mémorisation des dialogues et répliques et les expressions faciales et gestuelles sont d'autres prouesses dignes d'admiration aussi. Songeons aux incomptables répétitions et essais qui ont dû être faits, ou les mille et une petites modifications qui ont surgi en cours de route. Les acteurs sont tous très bons et très "authentiques".
L'histoire, fictionnelle (mais sans doute inspiré de quelques histoires vraies), résume très bien ce qu'était la vie dans les shtetls ou villages juifs d'Europe de l'Est avant la Shoah par balles. D'un côté, des villageois excessivement attachés à leurs traditions comme fondement et raison unique de leur identité ; de l'autre, des gens du village qui ont "vu le monde" ou ont envie de le voir et qui donc, sans renoncer à leur identité profonde, veulent convaincre leurs coreligionnaires du bien fondé de ne plus se limiter aux seules traditions, car on peut tout à fait les avoir ET avoir/faire/être d'autres choses aussi. Cela est exprimé par les différents dialogues en langue yiddish que le personage principal a avec plein d'autres personages, et les réactions des différents groupes qui se créent et se dissolvent au gré de l'impact des opinions des uns ou des autres (seules quelques rares dialogues sont en russe ou ukrainien). Et l'on comprend que chacun peut interpréter la religion et la parole "révélée" comme ça lui chante et être tantôt plus, tantôt moins convaincant que quelqu'un d'autre aussi fortiche en religion.
Nous avons donc un shtetl ou village juif-type, où la vie est organisée et rythmée par les obligations qui découlent de l'observation des préceptes religieux. Il faut dire ici qu'historiquement les shtetls résultent à la fois du besoin des Juifs de se protéger des pogroms ou attaques racistes, et des mesures de discrimination des différents gouvernements qui empêchaient les Juifs de dépasser 5% du total de la population d'une quelconque ville ou village ; ce n'est pas du tout comme s'ils avaient voulu s'enfermer eux-mêmes dans des ghettos tellement tous les autres seraient infréquentables. Certains Juifs s'affranchissent presque totalement du poids écrasant de la religion, d'autres encore sont extrêmement rigoureux, et la grande majorité navigue entre les deux. Seulement l'un des personnages porte une croix (qui ne ressemble pas à une croix orthodoxe, mais passons), et il n'est pas clair si ce personnage chrétien habite dans un village 100% juif ou est juste un voisin quelqu'un qui vient fréquemment rendre visite à ses potes juifs. Tous ces personnages, très différents entre eux selon leurs approches et leurs personnalités, viennent contredire l'image unique que les médias nous donnent du monde juif européen d'avant la Shoah par balles comme celle d'un monde monolithique. Dans tout le film, il n'y a aucune tentative de faire croire à un quelconque monde idéal ou une quelconque prétendue supériorité morale des Juifs, ni aucun autre endoctrinement : chacun est contradictoire et humain, ça pourrait être n'importe quelle autre communauté d'humains n'importe où.
C'est une étrange et triste beauté qui se dégage de ce film et qui remplit bien des cases du cinématographiquement parfait, et c'est pourquoi je recommande à 100%.