Contrairement à la présentation de certains critiques, Perfect Days n'est pas vraiment un éloge des petites gens, Wim Wenders montre assez bien que son personnage Hirayama est plutôt un favorisé déchu ou qui a choisi de refuser la "belle" vie (la raison est à peine évoquée). Il profite d'une vie modeste parce qu'il peut porter un regard intellectuel, esthétique, philosophique, parce qu'il choisit sa situation... Il mène une aventure intérieure intense à travers la lecture, la contemplation de la nature, la photo, le jeu du morpion, la musique, la compassion pour les humains dans leurs petits travers comme dans leurs bons côtés...
En cela, ce personnage est plutôt une illustration des réponses proposées par Schopenhauer à la question primordiale : comment sortir de l'égoïsme ? Hirayama s'impose une vie ascétique, un retrait du monde, non pour fuir la réalité mais pour fuir ses pulsions égoïstes, l'accomplissement individuel proposé dans le monde moderne : réussite sociale et professionnelle, profit, mise en valeur de soi, jouissance du corps, compétition d'ethos par la parole... Cet arrachement au fonctionnement du monde et aux privilèges auxquels il avait accès ne se fait pas sans souffrance, sans remontée d'égoïsme ravalé, sans solitude, sans inconfort. Mais le personnage en retire aussi une aura de martyr, héros du refus impossible, figure quasi christique du sacrifice de soi pour les autres. Bien qu'il vive dans une sorte d'autosuffisance soliste, il ne refuse jamais l'autre, donnant aux dépends de lui-même. C'est plutôt ces autres qui, happés par leur folle course vers eux-mêmes, sont bien incapables d'enrichir cette vie qu'ils subissent. Ils effleurent seulement, en croisant Hirayama, cette épaisseur de vie qu'ils recherchent désespérément et maladroitement, dans les codes usuels de réussite (l'argent au delà de la morale, l'image, les conquêtes amoureuses...). Ils s'arrêtent un temps, au détour d'un heurt dans leur vie - maladie, fugue, difficulté financière... - sont émerveillés par sa capacité à élever l'absurde d'une vie répétitive à la Sisyphe en art de vivre. Après cette rencontre lumineuse, suivront-ils cet exemple dans la nage à contre-courant ? Ou le sage restera-t-il seul et incompris, et l'humain prisonnier de ses passions ?