La soixantaine, solitaire, Hirayama répète chaque jour la même routine. Il se lève aux aurores, se rase soigneusement, enfile sa combinaison et part dans son minivan à son travail. Il est chargé de l’entretien des toilettes publiques pour une société tokyoïte. Il s’acquitte méticuleusement de sa tâche. Son collègue, le jeune Takashi est autrement plus fantasque, plus bavard et moins méticuleux. À midi il s’octroie une pause dans un jardin public et déjeune d’un sandwich en regardant la nature. Son travail achevé, Hirayama enfourche son vélo, passe aux bains publics et dîne dans un restaurant souterrain. Parfois, il fait un détour par une librairie pour y renouveler son stock de lectures, et par un bar où il a ses habitudes.
Hirayama, pour des motifs qui resteront obscurs, a décidé de se retirer du monde. La brutale apparition de sa nièce, dont il s’occupera pendant quelques jours, lèvera un pan sur le mystère de son passé sans nous expliquer les raisons de son choix de vie. Hirayama a choisi de mener une vie érémitique en plein Tokyo. Il y accomplit le travail le plus vil qui soit. Mais Il le fait avec une telle application que sa dignité n’en est pas affectée. Au contraire, Hirayama trouve dans sa routine quotidienne, aussi modeste soit-elle, son équilibre et sa joie.
"Perfect days" est un film minimaliste qui ne raconte rien ou presque. Inutile de laisser planer un suspens qui n’a pas lieu d’être ou d’escompter d’étonnantes révélations qui ne viendront jamais : Hirayama n’est pas un ancien agent de la CIA que la prise en otage de sa fille obligera à un ultime acte de bravoure façon "Taken" 1, 2 ou 3 ! Hirayama est tout simplement un homme qui a longtemps cherché la paix intérieure et qui a fini par la trouver en faisant du mieux possible son travail et en s’adonnant à ses loisirs : la musique pop des 70ies, la lecture, la contemplation des saisons qui passent derrière l’objectif de son appareil photo….
Ainsi résumé, le film avec ses deux heures et cinq minutes pourrait sembler bien ennuyeux. Il n’en est rien. Car Wim Wenders réussit, par le miracle de sa mise en scène, à donner du rythme à une vie qui n’en a guère. La répétition monotone des jours est filmée sous un angle chaque fois différent, avec un montage qui lui donne une coloration inédite. Prenez l’exemple du réveil de Hirayama auquel on assiste au moins quatre ou cinq fois et qui n’est jamais exactement filmé de la même façon. De micro-événements surviennent : les lubies de Tikashi – qu’on imaginerait plus volontiers dans un film de Takeshi Kitano que chez Wim Wenders – l’arrivée susévoquée d’une nièce, la rencontre de l’ex-mari de la patronne du bar que Hirayama fréquente, etc.
L’autre atout du film est la morale qu’il professe. Une morale peut-être autobiographique que nous livre Wim Wenders, ce si jeune réalisateur de soixante-dix huit ans. Au départ de "Perfect Days" était une commande publicitaire que lui avait passée la municipalité de Tokyo sur les toilettes publiques de Shibuya. Comme Hirayama qui réussit, malgré son emploi dévalorisé, à faire de chaque journée un moment de bonheur, Wim Wenders réalise une oeuvre d’art à partir d’une commande banalement mercantile.