Quasi film documentaire sur un personnage solitaire et surtout un quartier de Tokyo filmé avec passion. J'ai lu les affirmations selon lesquelles le film comprendrait plusieurs parties, mais en fait il ne cède jamais à l'idée de scénario et ne succombe à aucune tentation de récit,
sauf peut-être dans le passage sur la nièce fugueuse, et encore
. Les épisodes sont constitués d'une série de rencontres, le plus souvent répétitives, parfois silencieuses (le clochard céleste, la jeune femme déjeunant sur un banc), voire inconnues (
le jeu de morpion
) et parfois ponctuées de brefs échanges (la tenancière d'un bar, le restaurateur dans la galerie...). L'autre employé de la société de nettoyage offre le seul contrepoint comique à la langueur monotone de l'ensemble. Si le quotidien de cet homme mystérieux, intellectuel amoureux des livres, des arbres, de la photographie, mais chargé de nettoyer des toilettes publics, est par définition identique d'un jour à l'autre, Wim Wenders change à chaque fois la façon de le filmer (montage plus ou moins rapide, angles de la caméra...) et cela suffit à nous montrer qu'appréhender la vie est une question de points de vue. Plutôt que nous assommer avec un discours philosophique sur la sagesse, le cinéaste préfère largement les silences et nous comprenons parfaitement et immédiatement la conception que le héros se fait de la vie, simple, joyeuse et triste, pour tout dire mélancolique, tournée vers le souci de soi (les bains, les plantes, la lecture) et donc des autres (la bonté comme option systématiquement choisie face à l'adversité et aux déconvenues). Car si le personnage se tait, il la musique parler pour lui et transmettre les émotions (très belle scène de transmission avec la copine de son acolyte). Qu'on en sache peu n'a aucune importance : ode à une ville, à la fragilité des choses et des êtres, le film se propose en lui-même comme une échappée, à l'image des balades à vélo au soleil levant ou couchant...