La dernière réalisation de Clint Eastwood, Juré n°2, réussit à trouver un angle de reflexion plutôt original, qui interroge le rapport entre justice et vérité, et secondairement l’absurdité des peines souvent exceptionnellement lourdes appliquées aux États-Unis, qui font perdre leur sens aux sanctions prononcées, et parfois à l’acte de juger.
Est-ce rendre la justice que de condamner à la prison à vie un homme de trente ans, futur père d’un enfant à naître, honnête et travailleur, pour avoir heurté involontairement et sans s’en rendre compte, une jeune femme marchant au bord de la route, en pleine nuit et sous une pluie battante ?
L’est-ce davantage si l’on ajoute qu’il a, par le passé, été condamné pour conduite en état d’ivresse, bien qu’il soit abstinent depuis quatre ans ? Ou bien, si l’accusé à tort - qui irait en prison à sa place - mérite d’être enfermé pour d’autres raisons ? Ou enfin, si cet homme a un visage d’ange et de grands yeux bleus ?
À travers ce cas pratique, Clint Eastwood nous amène à nous demander si juger, c’est nécessairement faire émerger la vérité, analyser des faits, des preuves, des témoignages et expertises, établir les responsabilités et sanctionner les auteurs d’infractions, ou bien si tout cela doit être mêlé à l’idée qu’il y a des personnes qui, parce qu’elles ne sont pas mauvaises, méritent d’être en liberté, et que la justice devrait protéger d’elle-même. En choisissant l’exemple d’un homme respectable sous tous rapports, bien qu’alcoolique repenti, face à un accusé violent au lourd passé judiciaire, le réalisateur montre que cette question est éminemment pratique, et à quel point il est difficile de placer le curseur.
Du point de vue de Justin, il est compréhensible de ne pas se dénoncer : si, dans une société aussi individualise et libérale que les États-Unis, un citoyen doit avant tout protéger sa famille, alors son devoir est de ne pas se livrer lui-même à la justice. Mais du point de vue de la procureure, les choses sont autrement plus complexes : faut-il poursuivre aveuglément cet homme, dont elle sait qu’il finira ses jours en prison bien qu’il n’ait pas intentionnellement renversé la jeune femme et malgré sa situation familiale et sa bonne moralité ; ou faut-il au contraire fermer les yeux sur cette affaire, laisser le coupable échapper à une peine disproportionnée - quitte à laisser croupir en prison le condamné à tort, et considérer en définitive que la justice, ce n’est pas toujours la poursuite de la vérité ?
Cette question théorique et les considérations sur la sévérité des peines permettent d’envisager une piste pragmatique qui dépasse ces discussions formelles : celle du changement de la culture pénale. Une justice trop répressive et standardisée, comme cela peut exister dans nombre d’états américains, tend à dramatiser ce dilemme éthique. En France, Justin aurait sans doute risqué une peine de quatre ou cinq ans de réclusion, et aurait probablement évité la prison ferme, compte-tenu de l’absence d’intentionnalité et de non assistance. Cela aurait alors eu davantage de sens, pour la procureure, de le poursuivre et de le faire condamner : cela aurait été plus juste.
Dans l’un des derniers plans du film, Clint Eastwood montre la statue de Thémis représentant la justice, et choisit d’effacer progressivement de l’écran le glaive - symbole de répression - et le bandeau - promesse d’impartialité vis-à-vis du profil de l’accusé - pour ne laisser apparaître que le troisième attribut : la balance, représentant l’équité. L’équilibre raisonnable est tenu pour la composante première du jugement qui, précarisée par une prépondérance de la sévérité ou de l’impassibilité, défigure la justice.