Juré n°2 me permet de remplir un double objectif :
Celui d'aborder Eastwood dans un de mes commentaires AlloCiné, mais aussi et surtout la chance de voir un de ses films au cinéma à l'occasion d'une sortie. Je n'avais jusqu'à présent vu sur grand écran, pour une raison qui m'échappe, qu'une ressortie de Gran Torino.
Clint Eastwood... Un nom, un homme, mais aussi une carrière à son image : Immense, pleine d'ambiguïté et en perpétuel examen.
Une figure mythique forgée au fil des décennies. Éternelle rescapée, époque après époque, en constante mutation.
Il serait facile, au premier abord, de le réduire cette incarnation archétypale du self-made-man viril, entre autres symboles purement Étasuniens, dont notamment son obsession libertariste. Mais contrairement au modèle dans lequel il semble s'inscrire et à ses représentants, Eastwood possède une force qui lui est propre et qui fait défaut à beaucoup : son aptitude à continuellement coucher sur pellicule, de façon frontale, ses réflexions sur les sujets qui l'enflamment.
Là où le dogmatisme aveugle renferme l'individu sur ses certitudes, Eastwood interpelle, brusque et ose s'aventurer sur des sujets complexes et parfois risqués. Il confronte cet idéal Américain ainsi que leurs mythes et légendes dans tous leurs paradoxes et convoque une large audience, d'abord américaine, puis mondiale à s'y pencher avec lui, de façon universelle. De plus, sa propension quasi-maladive à l'autodestruction, n'a jamais laissé de place à de vaines tentatives pour se diviniser ni se glamourifier.
C'était le cas de ses œuvres les plus marquantes de ces dernières années : Impitoyable, Million Dollar baby, Mémoires de nos pères/Lettres d'Iwo Jima, L'échange, American Sniper, Sully, La Mule, Gran Torino... Mais aussi, le film qui restera certainement mon préféré, Mystic River.
Fort de ce constat, il semble totalement cohérent de retrouver un Eastwood âgé de 94, pas encore résigné à rendre les armes, s'attaquer à un sujet tout aussi épineux que la Justice pour son dernier long-métrage, Juré n°2, un film imparfait mais impeccable.
Juré n°2 est à la croisée des chemins entre un Contra tiempo d'Oriol Paulo et 12 Hommes en colères de Sidney Lumet.
Dans le fond tout d'abord, avec son éternelle capacité à naviguer en eaux troubles. De rester sur le fil, et d'interroger les spectateurs sur leurs idées préconçues. Est ce que ce qui est bien est fondamentalement juste et ce qui est juste est-il fondamentalement bien ?
Une situation peut-elle être jugée sans prendre en considération les éléments (prétendument) extérieurs ? La vie serait-elle totalement dénuée de relations de causalité imbriquées et qui exercent des forces convergentes sur une suite d'événements donnés ? Pour questionner ces sujets, Eastwood nous embarque dans une sélection de Jurys, comme on l'avait encore peu vu finalement.
Mais aussi sur la forme, Eastwood étant très probablement le dernier réalisateur qui pourrait s'inscrire pleinement dans un classicisme au sens le plus pur et noble du terme. Sa maîtrise est, il faut bien l'avouer assez implacable. Là où des sommités contemporaines du cinéma comme Scorsese ont toujours été dans la recherche d'une certaine radicalité visuelle, Eastwood pose son cadre, élégant, sans esbroufe.
On lui pardonnera alors facilement un côté "déjà vu", ou encore ce faux pas technophile assez grossier, marque étagement assez répandue dans le cinéma Américain
Le moment où l'avocate cherche sur son téléphone "Allison Crewson Husband" et qu'elle tombe directement sur des photos du couple. Alors qu'une simple recherche sur Allison Crewson, et deux plans de scroll auraient suffit et augmenté la charge dramatique
, ou encore quelques réactions vite expédiées de la part de certains membres du Jury.
Finalement, ces quelques problèmes sont inhérents à un facteur, qui m'a d’ailleurs surpris avant d'arriver en salle, la durée étrangement courte du film pour un Eastwood. Ces quelques minutes en sus auraient pu corriger ces quelques broutilles.
Rien de bien méchant, vous en conviendrez, d'où l'incompréhension toujours aussi forte quand des studios, bien que reconnaissants, traitent avec une quasi-condescendance une telle figure du cinéma (Warner a volontairement tué la sortie en salles aux US au profit de sa satanée plateforme de VOD).
J'ai longuement hésité entre un vrai "Bien" (3,5) ou un vrai "Très bien" pour cette proposition. Je vais oser le "Très bien", car même si ce n'est pas son brûlot le plus vigoureux, ni le plus abouti, sa maîtrise est bluffante et ne mérite aucunement le dédain que certains posent sur ce film.