Une moto et des hommes
Le roman éponyme de Nicolas Mathieu a reçu le Prix Goncourt en 2018. Ludovic et Zoran Boukherma l’ont adapté pour le cinéma. 140 minutes après, on se dit que ce film n’a qu’un handicap, celui d’être sorti dans la foulée de L’amour ouf et ses 4,7 millions d’entrées. Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule. Un drame articulé autour d'une histoire d'amour de jeunesse – pas si ouf que ça - au cœur des années 1990, contexte social pesant, choc des classes, violence latente… bref du déjà-vu, allez-vous me dire. « Certes » répondrais-je, mais ici, on s’attache essentiellement aux pas du personnage d’Anthony autour duquel s’articulent tous les événements. Ça fonctionne et le très beau casting convainc complètement.
Alors, on arrêtera le fastidieux « jeu des différences » avec le film de Lellouche. Intéressons-nous plutôt à celui des frères Boukherma. La mise en scène évite la stylisation pour rester à hauteur de personnage et en somme, simplement au service de l’histoire et de l’émotion. Un exemple : pas voix-off, pas de commentaires inutiles… un plan fixe sur les hauts-fourneaux à l’arrêt suffit à raconter la fin d’un monde. Nos cinéastes réussissent également la gageure de nous parler beaucoup d’ennui sans pour autant sans pour autant le provoquer – nombre d’exemples nous prouvent que c’est toujours un risque au cinéma -. Je n’ai pas lu le roman qui est à l’origine du scénario, mais je suis intimement persuadé qu’il fallait deux jeunes cinéastes pour emporter le morceau. – les deux jumeaux ont 32 ans -. Même si le film est un peu trop long et, à ce titre parfois répétitif, on se laisse happer par une histoire forte, des personnages incarnés et un casting, je le répète, formidable.
Paul Kircher - Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir au dernier festival de Venise -, avait crevé l’écran dans Le règne animal. Son côté lunaire, fragile et touchant fait à nouveau merveille. Sayyid El Alami, lui aussi, est parfait et ses face à face avec le « héros » font partie des grands moments de ce film. La jeune et jolie Angélina Woreth tire parfaitement son épingle du jeu. Et des accessits bien mérités pour les « parents », Philippe Lellouche et Ludivine Sagnier. Un récit d’apprentissage, une fresque romanesque, une fable sociale… il y a de tout ça dans ce film fulgurant qu’il faut voir.