Les bons films de genre français sont malheureusement rarissimes pour maintes raisons entre frilosité des producteurs, clichés sur l’incapacité du cinéma tricolore à réussir dans ce genre et, conséquemment, manque de moyens octroyés. Tout cela fait que dénicher un bon film fantastique, une pépite de film d’horreur, un film de science-fiction flamboyant ou encore, comme ici, un film policier glauque flirtant avec le surnaturel, a presque été mission impossible pendant des décennies. Mais, depuis quelques années, cela change et le film de genre retrouve ses lettres de noblesse grâce à des œuvres marquantes (et clivantes) telle que « Titane » qui a remporté la Palme d’or à Cannes. Néanmoins, c’est encore tout récent. Et avant cela, combien d’œuvres magistrales et mémorables comme l’immense et définitif « Martyrs » de Pascal Laugier pour des bouses ridicules ou des petits essais courageux mais pas très réussis tels que, par exemple pour en prendre un daté et un autre plus récent, « Le Meute » ou « Méandre ». Alors quand on découvre « Le Mangeur d’âmes », particulièrement réussi, on est clairement satisfait. D’autant plus que ses auteurs, qui avaient réalisé une œuvre hardcore qui avait pas mal interpellé son monde il y a près de vingt ans en l’occurrence « À l’intérieur » avec Béatrice Dalle, n’avaient pas du tout transformé l’essai depuis. On se souvient notamment de leur passage raté à Hollywood pour leur origin story sur « Leatherface », film dérivé de « Massacre à la tronçonneuse », visiblement honteux et jamais sorti en salles.
Adapté du roman éponyme, « Le Mangeur d’âmes » est un film policier glaçant, angoissant et extrêmement captivant qui nous plonge dans les tréfonds de l’âme humaine avec beaucoup de brio. Le long-métrage n’a rien à envier aux meilleurs films du genre venant du cinéma américain, d’Espagne ou encore de Corée du Sud. Il est même incompréhensible que le film ait été distribué sur si peu de copies à sa sortie et sans presque aucune promotion. Encore une fois, le problème du cinéma de genre en France est un serpent qui se mord la queue. Accessible et ambitieux, le film est une entière réussite dans le genre aussi bien sur le versant narratif que visuel. L’intrigue est parfaitement bien rendue et nous happe dès les premières images avec moultes rebondissements de situation et twists bien amenés. Et tout cela sans être trop explicatif, laissant quelques petites zones d’ombre au spectateur. Quant à la forme, le duo de cinéastes que l’on sent passionné, Alexandre Bustillo et Julien Maury, elle est très stylée mais sans jamais tomber dans l’exercice de style comme le récent « Longlegs », certes visuellement impeccable mais maniéré. Et ils savent parfaitement mettre en valeur le cadre de ce village montagnard et rural aux contours inquiétants. La photographie grise et verdâtre et la confection des plans est impeccable faisant parfois penser à « Les Rivières pourpres » mais en mieux.
« Le Mangeur d’âmes » satisfera aussi bien les amateurs de surnaturel alors que le film reste dans les ornières du réalisme. Mais certaines visions et l’atmosphère glauque et malaisante entre légendes locales, enlèvement d’enfants et meurtres extrêmes fait son office. Les scènes sanglantes sont très piquantes et gores, elles pourraient même choquer les âmes sensibles. L’utilisation de la musique est excellente et le duo de flics formé par Virginie Ledoyen et Paul Hamy est très probant permettant de s’attacher à eux grâce à un profil relativement creusé. On croit un peu moins à la prestation de Sandrine Bonnaire. Les presque deux heures du film passent à une vitesse folle et on a l’impression d’assister à quelque chose de peu commun dans le cinéma français dont seule l’inexplicable manque de visibilité fait rager. Il y a bien une ou deux facilités de scénario et un ou deux petits moments ratés mais ce sont des gouttes d’eau dans le fleuve palpitant de ce film policier sombre, âpre et tortueux. Une petite claque de film de genre qui résonne encore en nous longtemps après la projection et distille son malaise et son poison avec un nihilisme inusité dans notre cinématographie. À ne pas louper ou à rattraper de toute urgence.
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