On oublie trop souvent que Michael Bay a été, fut-il un temps, bon réalisateur, et que c'est en tant que tel qu'il nous a sorti de petites surprises désarçonnantes : No Pain No Gain, Pearl Harbor (teinté de patriotisme mais sans sa grossièreté habituelle) et Rock, Évadé d'Alcatraz version explosions, patriotisme exacerbé, morts par dizaines, Die Hard et Ed Harris en méchant qu'on apprécie finalement plutôt bien.
Il faut bien avouer que son iconisation en début de film y joue un rôle principal : meneur d'un enterrement pluvieux, il suit les cercueil d'hommes tombés au combat, sûrement les siens, au nom des intérêts du capital, des bureaucrates, anciens militaires aliénés par leur salaires et des dossiers en foison qui ne savent plus ce que cela fait de voir ses frères mourir au combat. Ed Harris, général aryen, montre son humanité en se penchant sur une tombe pour de dernières paroles; on comprend, entre deux mots, qu'il se confie une dernière fois à sa femme décédée, et que c'est aussi et surtout pour elle qu'il mènera son combat.
Pour du Michael Bay, l'antagoniste est surprenant : à la personnalité complexe, il ne s'embarrasse de trop de nuances de comportement pour rentrer dans le cadre des méchants habituels de son cinéma, prétextes à des scènes de combat conduisant, la plupart du temps, sur d'autres scènes de combat encore plus spectaculaires, poussives, répétitives. Non, Harris campe un homme à la lisière du combat et de la paperasse qui, semblant connaître les grandes instances, désire seulement qu'on rendre justice aux hommes morts pour la patrie.
Forcément, Bay n'a pas choisi le sujet pour rien : il tient la meilleure justification à ses excès de mise en scène, la plupart du temps porté sur l'armée. Attendez-vous à revoir les mêmes départs d'avions, soldats partant en guerre sur fond de soleil levant/couchant, à toutes heures de la journée. Si c'est répétitif, cela devient rapidement rapidement comique, caricatural; ou de voir Michael Biehn tenter d'amadouer des mercenaires, anciens marines renégats, par le simple rappel du drapeau étoilé, comme s'il était suffisamment naïf, lui qui combattit l'alien et le terminator, pour croire qu'on change la volonté d'un homme par simple agitation d'une morale baveuse.
Alors, tous meurent au nom du drapeau, et l'on comprend rapidement que le propos est plus intelligent que ce qu'il n'y paraît : Harris, qui voulait rendre justice aux oubliés de cette nation que Bay rend sanctifiable (encore que son côté bureaucratique est fortement pointé du doigt), comprend que son combat perpétue ce qu'il essayait de combattre, et que l'Amérique est vouée à sacrifier ses fils pour l'avarice des pères marchands de canon.
Un propos intéressant souligné par la longue, très longue exposition du film où l'on nous présente un Sean Connery ancien agent des services secrets de sa majesté (exactement comme si son James Bond avait fini ses jours à Alcatraz avant de s'en évader), soutenu par un Nicolas Cage en déballage jouissif des atours comiques, représentation contraire du héros américain selon Bay, auquel on s'identifie forcément plus (seul point intéressant de développement de personnage dans le premier [Transformers][1], même si c'était à la truelle) et qui dépense, il faut le soulever, des centaines de dollars pour un vynil des Beatles, collectionneur recherchant autant la rareté du matériau que la qualité de son son.
Les deux réunis, on nous présentera une histoire familiale certes dispensable mais très agréable sur sa conclusion, et qui renforce, avant même le départ, le lien de nos deux acteurs; et si la rencontre avec Ed Harris sera brutale, il était complexe de s'attendre à l'équivalence de la scène de la fosse, déjà référencée plus haut, d'un patriotisme béat mais dramatique, bien filmée, soutenue par une musique pour le coup pertinente et d'une violence surprenante dans le cinéma de l'amateur de patriotisme et d'explosions. Sacré passage de la carrière de Bay durant lequel il parvint enfin à synchroniser sa mise en scène vibrante et son montage épileptique à la tension dramatique qu'il voulait transmettre à une scène, devenue certes l'un des meilleurs moments du film, mais aussi, et surtout, l'une des meilleures iconisation d'un sacrifice armé que l'on aura pu voir au cinéma (avec l'excellente conclusion de 300 et la fin des Sept Mercenaires).
Le tout est qu'on tient là l'une meilleurs Die Hard likes, l'un des meilleurs films de Michael Bay : construit, complet, il nous présente très bien son duo de héros, lui colle talentueusement des antagonistes plus ou moins mauvais, tous avec une vraie gueule (le casting de seconds rôles est qualitatif), de véritables motivations que le spectateur sera libre de juger. Certes un peu poussif sur son esthétique (les lumières couplées au montage hâché rendent certaines scènes illisibles, notamment de combat, constante chez le réalisateur), son héroïsation de l'armée américaine et sa scène de combat finale (Bay voulant toujours faire plus sur la fin, on ne s'en étonnera pas), Rock aura le mérite de nous transmettre une histoire complète, un divertissement honorable généreux en moments de bravoure et de sacrifice. C'est un excellent film d'action, sûrement l'un des plus compacts de sa génération.
Un classique du cinéma de Michael Bay, peut-être même l'un des seuls.