Bébé. Enfant. Mère.
À l'approche de la quarantaine, Ella a beau mené une vie professionnelle et sentimentale accomplie, tout son entourage ne fait que lui répéter ces mots avec l'espoir plus ou moins dissimulé qu'elle cède enfin aux sirènes de la maternité. Mais Ella ne veut tout simplement pas d'enfant, jugeant qu'elle est heureuse telle qu'elle est.
Un jour, la pression sociale exercée à son encontre sur cette question devient si forte qu'elle accepte d'être le cobaye d'un essai clinique visant à lui donner le désir de devenir mère...
Là où la plupart des films d'horreur contemporains font souvent le choix facile de miser sur l'instinct maternel d'une pauvre victime enceinte prête à tout pour sauver sa progéniture, le premier long-métrage d'Alexis Jacknow opte pour le chemin bien plus étonnant (et malin) de se fixer sur une héroïne vue comme une anomalie vis-à-vis de tous ses proches, et plus largement des conventions les plus archaïques établies envers les femmes, par son refus d'embrasser un statut de mère.
En ce sens, la première partie de "Clock" qui passe en revue les remarques constantes qu'Ella subit à ce sujet est très bien sentie, passant de l'humour noir autour d'une baby shower où un montage idyllique de la vie épanouie d'Ella se heurte au tableau chaotique de ses amies jeunes mamans ("l'oeuf aux oeufs" croqué par Ella en ouverture de cette séquence résume tout) à des ramifications plus dramatiques, avec un père lui renvoyant notamment le passé sombre de ses grands-parents juifs durant l'Holocauste pour justifier le besoin d'une descendance, un mari qui dit accepter la décision d'Ella sans toutefois s'empêcher d'émettre un désir d'enfant ou encore les connaissances de réseaux sociaux qui étalent leur joie commune d'être parents à longueur de posts... En permanence répétés au quotidien, tous ces facteurs extérieurs font arriver Ella à la conclusion qu'il y a bien quelque chose qui cloche elle, que son horloge biologique de femme donnant son titre au film est cassée.
En opposition à la froideur clinique d'un examen gynécologique routinier qui aurait dû assurer cette position, Ella se voit accueillir avec chaleur à son essai clinique, séduite par les mots bienveillants d'une médecin attentive lui expliquant que le besoin de procréer est inhérent à chaque être vivant et que l'on peut réparer les dysfonctionnements contraires à cet objectif chez elle. Ayant renoncé au travail qui lui assurait sa condition de femme indépendante pour assister à cette étude, Ella choisit de la croire et, en cela, se met à renier tout ce qui la définissait jusqu'alors.
Allant lorgner aussi bien du côté du body horror avec quelques plans chocs très réussis (l'ambiance de clinique étrange évoque d'ailleurs fortement le cinéma de Cronenberg) que de l'horreur psychologique la plus pure, "Clock" va nous dresser le portrait d'une femme qui pensait assumer son choix envers et contre tout mais qui perd finalement pied en se résignant à une "normalité" conditionnée, se prenant de plein fouet les représentations littérales de la culpabilité née de reproches perpétuels à son égard, et ce par l'intermédiaire du processus censé la ramener sur ce qui serait la voie à suivre pour chaque femme, celle de la procréation.
Écartelée donc par ce qu'elle avait décidé d'être et ce qu'on veut qu'elle soit, Ella va subir les conséquences dévastatrices de son esprit en plein combat schizophrènique, sous prétexte d'effets secondaires au traitement se manifestant sous la forme de visions ou d'agissements symboliques irrationnels (tantôt bien vus, avec son amie par exemple, tantôt pas très subtils, on a compris avec les œufs, merci). Peut-être encore mieux: dans une dernière partie voyant Ella se confronter à des personnes la manipulant ou osant remettre en cause sa décision de se conformer enfin à leurs attentes, le film réussit à produire de bonnes surprises, dont une en particulier, avec certains éléments de son récit (que l'on pensait lui aussi potentiellement "conditionné" vers des finalités prévisibles une fois son engrenage exposé) tout en n'oubliant jamais de lier l'ensemble à la doulour de l'épreuve traversée par son héroïne dénaturée (au sens propre du terme) et susceptible d'atteindre un point de non-retour à tout moment.
Bien entendu, avec cette matière, "Clock" aurait pu être un bien plus grand film en d'autres mains, le résultat a beau être ici prenant, efficace et pertinent (emmené avec conviction par Dianna Agron de surcroît), il manque clairement au long-métrage une identité et une ambition plus marquées pour lui donner l'envergure qu'il mérite, à laquelle son sujet et son traitement via l'horreur pouvaient lui faire prétendre.
Mais, en attendant qu'un autre fasse mieux avec les mêmes aiguilles et mécanismes, le tic-tac dérangeant de l'Horloge construite par Alexis Jacknow vaut la peine d'être entendu.