Les réalisatrices Delphine et Muriel Coulin nous proposent, avec « Jouer avec le feu », l’adaptation d’un roman de Laurent Petitmangin que je n’ai pas lu. Donc, je ne peux pas juger le fidélité ou pas à l’œuvre originale, et je prends donc le long métrage comme il vient. Le film dure 2 heures et honnêtement, il aurait pu être un petit peu plus court et ramassé sans un certain nombre de scènes inutiles, et quand elles ne sont pas inutiles, elles peuvent parfois s’éterniser un tout petit peu trop dans certains cas. Mais ce n’est pas un défaut rédhibitoire car dans sa forme, le film ne manque malgré tout pas de qualités. Les plans sont soignés : beaucoup de gros plans, des scènes de foule (stade du FC Metz) maitrisées, et la violence n’est jamais montrée de face, sauf dans la scène (trop longue) de combat de MMA clandestin. C’est un parti pris de suggérer la violence sans jamais la montrer frontalement, et on peut le discuter. Nettoyer des mains pleines de sang, montrer des blessures sans avoir filmé l’affrontement, est-ce c’est digne ou bien est-ce être timoré ? En fait, comme le sujet principal du film c’est le regard du père de Fus (surnom de Félix), et que lui ne voit jamais la violence de ses propres yeux (mais seulement ses conséquences), je trouve que c’est assez juste de prendre le parti de suivre le regard paternel au lieu de filmer complaisamment les exactions des groupuscules d’extrême droite à l’œuvre. Une utilisation intéressante de la musique est aussi à souligner, ce qui ne gâche rien. Au casting Vincent Lindon et Benjamin Voisin crèvent l’écran. Je ne vais pas m’éterniser que la performance de Vincent Lindon en père courageux, aimant, mais qui n’arrive plus à comprendre son petit garçon et
dont le cœur se déchire scènes après scènes.
Son talent n’est plus à démontrer depuis longtemps.
Cela dit, sa déposition à la fin du film est une petite performance d’émotion, même si on n’est pas forcément d’accord avec ce qu’il dit, j’y reviendrai.
Benjamin Voisin, lui, a une gueule d’ange, il aime son père, il aime son frère mais il dérive. Frustré par la vie qu’il mène (par rapport à celle de son frère surtout, même s’il ne l’avoue jamais), frustré par le peu de perspectives qui s’offrent à lui, il se laisse endoctriner. On aimerait qu’il revienne à la raison mais il a des saletés plein la bouche et cela tranche tellement avec son charme que cela le rend encore plus détestable. Dans les scènes silencieuses, et il en a beaucoup, il fait passer encore plus de dureté par le regard que quand il parle, ce qui n’est pas peu dire. Stefan Crepon a un rôle plus effacé et c’est normal mais il est très bien lui aussi. Le sujet du film n’est pas, au final, la dérive d’un jeune homme vers la violence, le racisme et l’idéologie.
Quand le film commence, il est déjà bien engagé dans cette voie et son père ne s’en est pas encore rendu compte.
La dérive de jeunes hommes frustrés, qui cherchent l’amitié virile et qui sont entraînés vers le mouvement identitaire, c’est un phénomène bien connu. Ici, le sujet, c’est le regard paternel sur cette dérive. Tout les oppose, lui est un ancien syndicaliste, très à gauche, il découvre avec effroi les amitiés de son ainé
et tente tout ce qui peut être tenté pour le faire revenir à la raison. Le confronter, lui faire la morale, lui interdire ceci ou cela, il n’a pas non plus 50 options à sa disposition. Tout échoue, la spirale est infernale. Alors il finit par subir la situation, tout en continuant à tenir son rôle de père. On pourrait penser qu’il ferme les yeux et démissionne mais au fond, quoi faire d’autre ? Le renier ? On le sait d’emblée, cela ne peut que mal finir pour Félix, la violence appelle la violence. Quand je disais que la déposition de Pierre m’a fait tiquer, c’est qu’il s’accuse presque de ne pas avoir sauvé son fils, il prend une part de sa culpabilité sur ses épaules. Or non, à mes yeux, il se trompe, il n’est pas coupable : il a élevé décemment son fils, a essayé de lui inculquer des valeurs, il l’a aimé, il a fait ce qu’il fallait et même sans doute bien plus que certains autres pères dans sa situation ne l’auraient fait. Félix a fait des choix, ses choix, il a 23 ans, lui et lui seul doit les assumer. Peut-on continuer à aimer son fils en dépit de tout ? C’est un choix moral que Pierre ne fait pas, cherchant jusqu’à la dernière scène l’amour de son fils. Cela ne manque pas de poser question.
« Jouer avec le Feu », en dépit de ses petites longueurs, posent des questions douloureuses en choisissant de ne presque pas y répondre. C’est un film lourd sur un sujet lourd, c’est un beau film sublimé par deux comédiens formidables de justesse et de retenue.