Monia Chokri nous propose, avec « Simple comme Sylvain », un pur film d’amour. Je pourrais même dire une comédie sentimentale (car on rit beaucoup) mais ce serait un peu trompeur car, généralement, les comédies sentimentales sentent la fleur bleue et finissent bien. Avec « Simple comme Sylvain », ça sent surtout le sexe,
quand à savoir si ca va bien finir, c’est une autre histoire.
Pendant presque deux heures nous suivons Sylvain et Sophia dans une histoire d’amour aussi sincère qu’elle est compliquée. Habillée d’une jolie bande originale surtout à base de chansons (où il est question de Scorpion mais surtout de Michel Sardou), son film nous embarque dans la magnifique forêt canadienne en automne puis en hivers (le film se déroule sur quelques mois). Les distributeurs français proposent le film en français québécois sous-titré en français. Au début on peut trouver ça étrange, on s’oblige à lire les sous-titres qui attirent l’œil alors qu’on se sent quand même capable de comprendre les dialogues. Mais quand on s’aventure dans les Laurentides, les sous-titres deviennent nettement plus nécessaires, il faut humblement le reconnaitre. Bien filmé (avec quelques jolies idées de mises en scène toutes simples comme le contre-jour quand Sophie voit la première fois Sylvain, ou le plan décalé quand mari et amant se serrent la main la première fois), pas trop long, le film à la bonne idée d’être drôle grâce à des dialogues très écrits. Il y a beaucoup de scènes de sexe, avec des dialogues assez crus, mais étrangement cela ne met pas vraiment mal à l’aise car les scènes ne durent pas plus que nécessaire et elles sont filmées avec une vraie pudeur. Ces scènes ne sont pas non plus gratuites car le coup de foudre Sylvain/Sophie est d’abord physique avant de se muer en une vraie histoire de sentiments. Les deux rôles titres sont tenus par Magalie Lépine-Blondeau (une révélation !) et le charmant Pierre Yves Cardinal. Ils forment un couple aussi désaccordé qu’attachant, on a immédiatement envie de les voir heureux ensemble,
tout en sachant au fond qu’il y a peu de chance que cela arrive
. Les seconds rôles sont nombreux, souvent bien incarnés même si certains sont franchement au-delà de la caricature.
Du côté de Sophia, le frère artiste conceptuel, les amis gay et la petite amie « non genrée » ; du côté de Sylvain, le frère bien bourrin et la belle-sœur assez vulgaire, et on ajoute la mère fascinée par le paranormal et alcoolique : n’en jetez plus, la coupe est pleine !
C’est sans doute fait pour creuser le fossé abyssal entre les deux amoureux, et faire sourire, mais quand même… L’intrigue, au final, est toute simple : même en étant sincèrement amoureux, peut-on construire quelque chose quand on est aux antipodes culturellement ? Si quand ils sont ensemble, Sophie et Sylvain semblent s’aimer avec facilité, avec sincérité, être sur la même longueur d’onde
(à part une grosse dispute venue un peu de nulle part au milieu du film)
, c’est au milieu des autres que les deux sont mal à l’aise. Dans le milieu de Sophia, Sylvain détonne trop,
elle a un peu honte de lui par moment : ses tenues, ses idées sur la peine de mort, ses remarques légèrement racistes.
Dans le milieu de Sylvain, elle n’arrive pas à se sentir à l’aise malgré ses efforts. En fait, le monde qui les entoure est trop hostile pour leur histoire. C’est un film qui m’a fait penser à « Pas son genre », un film français sorti il y a quelques années sur un thème similaire. C’est un film d’amour assez triste que « Simple comme Sylvain », quand on y pense. Autant les dialogues sont drôles, enlevés, décomplexés, autant le fond est tragique. S’aimer hors de nos origines sociales, or de nos références culturelles, c’est terriblement difficile, c’est même perdu d’avance. Ici, il n’est nulle question de religion ou d’origines ethniques mais simplement de deux canadiens qui n’ont rien en commun. Il y a deux Canada comme il y a deux Amériques et deux France qui ont de moins en moins en commun. Au-delà de l’histoire d’amour, le film de Monia Chokri dessine une société scindée, polarisée, qui se méprise l’une l’autre un peu aussi. « Simple comme Sylvain » est une comédie tragique, ou un drame comique,
qui se termine un peu étrangement. Comme l’histoire d’amour entre eux n’allait nulle part, le scénario tourne un petit peu à vide au bout d’un moment et la fin arrive un peu « en queue de poisson », c’était prévisible : ça laisse un gout un petit peu amer en bouche.