Laissons cela à Netflix que la plateforme propose pas mal de créations qu'il serait quasiment impossible de voir ailleurs et en VO. Ainsi ce film flamand, où se côtoient acteur·trices belges et néerlandais·es, est-il l'occasion de se délecter d'une langue moderne qui vit avec son temps, injustement méprisée par bon nombre de francophones, au sud, et de Bataves, au nord, savant waterzooï de néerlandais, de français, d’anglais et d’expressions typiques.
Laissons l’analyse philologique de l’oeuvre et penchons-nous sur sa critique. Difficile de ne pas faire le parallèle avec Shining, le chef d’oeuvre de Kubrick, d’après Stephen King. Dans la catégorie ressemblances, on a une petite famille qui décide de s’isoler de la civilisation, un père « créateur de contenu » (là un écrivain, ici un influenceur)
qui pète graduellement les plombs (pourquoi?)
, des bribes d’apparitions fantomatiques empreintes de souvenirs douloureux, les lents travellings dans les couloirs. Au rayon des dissemblances, on a troqué la gueule inquiétante de Jack Nicholson pour celle, beaucoup plus sympathique, de Ward Kerremans, acteur beau gosse caméléon (série « La bonne terre », sur Netflix aussi, chaudement recommandée), la neige du Colorado pour la nature verdoyante d’un petit village flamand propret et le sombre passé d’un hôtel pour celui d’une maison et d’une usine familiale et, enfin, la vision de fantômes (Shining) pour la perception auditive exacerbée et décalée (Noise).
Sur le plan de la réalisation, parsemée de petits coups d’originalité, on reste dans une œuvre inspirée par les classiques du genre, les moments d’irrationnel étant ponctués de musique d’ambiance un peu lourde. Les plans via smartphone (l’outil de travail de l’influenceur) auraient ainsi pu être exploités autrement que pour poser le personnage au début. L’interprétation, enfin, est propre sans être exceptionnelle
On pourra regretter, aujourd’hui, que cette création fantastique ne soit pas suivie d’une logique à essayer de comprendre avant qu’elle ne soit expliquée à la fin. Et pourtant, c’est aussi là l’essence du fantastique propre à l’art flamand (de Jérôme Bosch à Jean Ray) que de nous plonger dans un univers sans nous en livrer les codes ni les explications : c’est à prendre comme tel ou à rejeter, on s’y jette ou l’on s’y perd. Ceci peut expliquer le rejet de cette œuvre par un public français, plus habitué aux règles de la raison qu’aux charmes des volutes oniriques en brouillard diffus.
Ainsi, malgré son évidente influence anglo-saxonne, Noise est une œuvre typiquement flamande dans ce que cette culture a pu générer d’absurde, un climat à la Jean Ray
, prenant et réaliste tout à la fois qui prend sens une fois le puzzle complété
.