Grand Corps Malade et Mehdi Idir s’attaque au biopic d’une légende de la chanson française : Charles Aznavour. Sur presque 2h15 de film, Mehdi Idir et Grand Corps Malade déroule la vie du chanteur de ses débuts pendant l’Occupation
(où il chante du Trenet devant les croix gammées pendant que ses parents cachent le couple Manouchian)
jusqu’au milieu des années 70, rouflaquette grisonnante et triomphe aux Etats-Unis. En réalité, le film s’autorise de commencer par le milieu : 1960 par une scène que l’on reverra donc deux fois, parce que c’est le tournant de la carrière : avant la galère et les vaches (très) maigres, après le succès mondial. Alors forcément, cette narration très chronologique en « saut de puce » fait très scolaire. Et le découpage du film en chapitres façon « cahier d’écolier » ajoute encore à ce côté académique. C’est forcément un petit bémol mais ça n’enlève pas au film ses qualités. La bande originale du film est 100% Aznavour, quand les chansons ne sont pas interprétées à l’écran elles servent d’illustration aux images. Et Mehdi Idir et Grand Corps Malade vont même plus loin : les tubes qu’ils n’utilisent pas dans le film servent en générique de fin en forme de pot pourri. Le film est l’occasion de se souvenir que quel que soi notre âge, on les connait toutes, ces chansons, et bien mieux qu’on ne l’imagine. Le film se déroule sur une période de 30 ans environ, les reconstitutions se devaient d’être soignées et c’est le cas. Les deux coréalisateurs utilisent des images d’archives d’ l’artiste mais n’en abuse pas, elles illustrent juste la tournée mondiale de celui qui est devenu une star internationale (et qui va même chanter en Chine ou à Moscou, dans plusieurs langues, alors que très peu le font à cette époque). Le scénario insiste sur plusieurs choses et d’abord sur la volonté et la foi inébranlable qui ont été les siennes. En dépit des débuts difficiles, des critiques injurieuses
(et ouvertement racistes)
, des échecs, au prix d’une vie personnelle sacrifiée, il arrive au sommet et s’en trouve presque désemparé. C’est cette fuite en avant à laquelle il sacrifie tout qui est la colonne vertébrale du scénario. Le film insiste sur la qualité de ses textes et son incroyable capacité à incarner les chansons sur scène. Il aurait pu, c’est vrai, en dire un peu plus sur l’Aznavour comédien, qu’il ne faudrait pas oublier.
Le Charles Aznavour qu’on a sous les yeux est un bourreau de travail, égoïste et parfois cassant, exigeant et ambitieux, mais aussi un homme à femme, un père absent. Tout au long du film il croise des célébrités (il leur survivra toutes !) : Edith Piaf, Charles Trenet, Gilbert Bécaud, Francis Blanche, François Truffaut, Franck Sinatra, Sammy Davies Jr ou encore Johnny Hallyday.
C’est toujours délicat de voir des comédiens dans ce genre de rôles mais Marie-Julie Baud, qui incarne Edith Piaf, est assez bluffante je trouve, et pourtant Dieu sait que rôle est difficile ! L’écriture des seconds rôles est assez fine, notamment pour Edith Piaf et Pierre Roche (Bastien Bouillon, épatant) alors qu’honnêtement, les autres ne font que passer. Mais ces deux là ont une vraie trajectoire imbriquée dans celle d’Aznavour. Sur le papier, Tahar Rahim en Charles Aznavour ça laisse songeur et pourtant : quelle performance ! Rahim s’efface totalement derrière Aznavour, physiquement parfois s’en est même troublant (surtout à la fin, sur certains plans c’est impressionnant) mais aussi dans la diction, dans l’attitude. Je sais que c’est le travail d’un acteur de faire cela mais quand c’est fait avec ce talent et cette justesse, ça force sacrément le respect. Même ceux qui n’aimeront pas le film en le jugeant trop scolaire, trop long, trop lisse, pas assez ceci ou trop cela ne pourront rien redire à Tahar Rahim, qui illumine le film avec une humilité et un investissement qui ne peut pas laisser indifférent. Il est sur les rails pour le prochain César ! Doté d’une affiche que personnellement j’aime beaucoup, « Monsieur Aznavour » est à mes yeux un biopic classique, peut-être un tout petit peu trop long sur la fin, mais qui ne manque pas de vraies qualités. C’est un hommage touchant à ce fils d’immigré arménien qui est devenu pour le monde entier le symbole de la chanson française.