Prof un jour, prof toujours
Voilà 30 ans que Nicolas Boukhrief hante les plateaux de cinéma. Ce drame est déjà son 11ème film. Comme à son habitude, ces 102 minutes sont solides, efficaces, et émouvantes. Jacques Romand est un professeur qui a perdu sa vocation. Témoin d’une agression dans une épicerie de quartier, il permet l’arrestation de l’un des voleurs : Victor, 14 ans. Mais en découvrant le sort de ce gamin déscolarisé que l’on force à voler pour survivre, Jacques va tout mettre en œuvre pour venir en aide à ce jeune parti sur de si mauvais rails. Quitte à affronter ceux qui l’exploitent. En luttant contre les réticences mêmes de Victor pour tenter de lui offrir un avenir meilleur, Jacques va changer son propre destin... Cela faisait 6 ans, depuis l’excellent Trois jours et une vie de 2018 que ce réalisateur ne nous avait plus rien proposé. On le retrouve avec beaucoup de plaisir.
C’est l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, qui est à l’origine de ce scénario. Boukhrief a voulu raconter l’histoire d’un prof, mais hors de la structure professionnelle dans laquelle ce personnage évolue la plupart du temps et parler ainsi de la figure d’un professeur en soi, hors de son contexte. L’autre axe concerne les Roms, une communauté qui souffre sans doute aujourd’hui de la plus grande forme de racisme endémique puisque tout le monde se permet de la moquer méchamment, voire violemment, sans aucun complexe. En pensant au mythe d’Olivier Twist, le film se transforme en une sorte d’Enfant sauvage 2.0. Mais le plus important ici, c’est le contexte dans lequel évoluent les deux personnages principaux. D’une part, la crise des vocations et de l’autre, la situation des émigrés. Et c’est sur ce point que le film prend un tour documentaire tout à fait passionnant et déprimant à la fois. Car, même avec la meilleure volonté du monde, les systèmes policier et administratif pour lesquels tout doit rentrer dans des « cases ». et qui, en conséquence, apportent plus d’entraves que de solutions. En définitive, le film est une sorte d’hommage aux « profs qui changent une vie » et deviennent, malgré eux, le type même du « héros social ». Très émouvant.
Comme toujours, on sent Vincent Lindon totalement investi dans ces rôles humanistes d’homme qui doute de lui et du monde qui l’entoure. Karole Rocher lui donne une belle réplique. Pour trouver le jeune Stefan Virgil-Stoïca, le cinéaste s’est rendu en Roumanie, où il a également engagé une trentaine de personnes de deux familles Rom’s pour la figuration avec entre autres Sorin Mihai, dans le rôle de l’oncle. Loin du pathos, ce film nous propose un exemple de transmission pleine d’empathie et pose un regard fraternel sur ceux qui souffrent. Oui, la fraternité, le maître-mot de ce film, un mot gravé aux frontons de la république, mais par trop ignoré dans notre société.