"Viver Mal est le reflet de Mal Viver. Dans un miroir, l’image reflétée se retrouve à l’envers, et ce film montre ce qui ne peut être qu’imaginé dans l’autre : les clients de l’hôtel qui, dans le premier film, ne sont guère plus que des ombres furtives ou des silhouettes apparaissent çà et là, sont à présent les protagonistes. Et ce sont les membres de la famille gérante de l’hôtel, au premier plan dans Viver Mal qui sont relégués au second dans Mal Viver, venant perturber le cours des récits."
"La vie et les drames de la famille gérante sont aperçus à travers d’inquiétants fragments qui nourrissent l’imagination du spectateur, tout en ajoutant un aspect dramatique aux personnages des clients, qui, en passant de l’isolation à l’intégration dans leur environ- nement social, sont désormais observables. Viver Mal présente une autre perspective sur la même unité de temps et de lieu, une perspective qui éclaire les drames dont l’autre film ne montre que des bribes fragmentées."
Via ce projet cinématographique original, João Canijo voulait faire deux films qui traitent des mêmes thèmes, avec des intrigues qui se déploient dans le même espace, au même moment. "Les personnages secondaires du premier film sont les personnages principaux du second, et vice versa. Les titres Mal Viver et Viver Mal reflètent ce jeu de miroirs. Je vois toutefois ces films comme deux œuvres individuelles et autonomes", précise le metteur en scène.
Les liens intenses entre les membres de la famille (jusqu’à l’étouffement) constituent le thème majeur des deux films. En se concentrant sur les relations entre mère et fille, João Canijo voulait parler de l’anxiété et de la manière dont les mères la transmettent à leurs filles : "C’est un film sur l’héritage et le fait que les mères peuvent rendre la vie de leurs filles misérables."
"L’anxiété les empêche, des deux côtés, d’aimer et de vivre la vie à laquelle elles aspirent. Pour l’atmosphère, j’ai été inspiré par une photographie de Gregory Crewdson. On y voit une femme sur un lit, à côté d’un bébé, et la femme le regarde, avec une expression de chagrin. C’est cette situation sombre que je voulais rendre", précise le réalisateur.
João Canijo souhaitait que l’endroit où se déroule le film fasse l’effet d’une prison ou d’un cul-de-sac pour les personnages principaux. "La famille qui est propriétaire de cet établissement ne peut pas s’enfuir, et les hôtes non plus, du moins pour la durée de leurs vacances. Je voulais que le bâtiment lui-même ait une allure particulière, qu’il ne soit pas trop neuf, qu’il ait quelque chose de décrépit", confie-t-il.
Les deux films ont fait l’objet de deux méthodes de travail très différentes. Avec Mal Viver, il y avait plus de "manipulation" des acteurs parce que João Canijo savait déjà où il voulait les emmener, mais il souhaitait qu’ils y parviennent d’eux-mêmes. Le metteur en scène développe : "Les scènes-clés et les dialogues-clés existaient déjà, et faisaient partie d’un travail thérapeutique pour moi. J’ai fait une thérapie pendant un an - je n’ai d’ailleurs pas induit la psychologue en erreur sur mes intentions : elle savait quel était mon but."
"J’en ai tiré beaucoup, et le scénario est devenu très organisé. Donc il y avait bien un degré de manipulation nécessaire pour pouvoir traiter de l’anxiété. Avec Viver Mal, le processus était différent : tout émanait des pièces de Strindberg, que nous nous sommes attachés à déconstruire pour les adapter aux actrices avec lesquelles je travaillais. Je n’ai pas écrit une seule ligne de dialogue. Tout est sorti des répétitions. Peut-être qu’au fond, certaines des réparties de Mal Viver n’ont pas été écrites : elles ne sont que des réminiscences."
João Canijo et son équipe ont tourné les deux films en même temps, en suivant un scénario précis et en préparant chaque plan de manière à monter directement en tournant. "J’avais les plans de l’hôtel et j’ai organisé le tournage en fonction, en l’adaptant à la structure de l’hôtel", précise-t-il.
Lorsque João Canijo était petit, il passait presque tous les week-ends dans un hôtel sur la côte près de Porto, dont il a gardé en mémoire la grande piscine. "Nous avons visité plusieurs hôtels avant le tournage, mais c’est finalement celui-ci que nous avons choisi. C’était pendant la pandémie, alors qu’il était vide. Nous nous sommes confinés là, toute l’équipe. Ça a été formidable, parce que ça nous a permis de travailler de manière très concentrée. L’hôtel est encore en activité et il marche assez bien. Il est aussi tenu par une famille, un frère et une sœur", se rappelle le réalisateur.