Xavier Legrand choisit d’adapter librement un roman que je ne connais pas, « L’ascendant » d’Alexandre Postel. Impossible pour moi donc de juger l’adaptation en tant que telle. Je retrouve dans « Le Successeur » ce qui m’avait particulièrement marqué dans son premier film : le soin apporté au son et au hors champs. Il y a de la musique dans « Le Successeur », mais seulement dans les scènes sans enjeux, sans suspens. Ces scènes là sont écrasantes de bruits ou bien au contraire écrasantes de silence. Et puis, il se passe beaucoup de choses hors-champs de la caméra, et des choses capitales. En fait, c’est comme si ce qui était crucial dans le film n’était jamais montré frontalement :
la découverte du « secret » paternel, la scène de nuit dans les bois, ou alors la toute fin, qui n’a pas finit de faire parler.
C’est une manière simple mais redoutable pour créer la tension. Et de la tension, il y en a beaucoup dans ce film qui plonge le spectateur dans une malaise grandissant avec comme point d’orgue
une séance de projection de photographies (pendant les funérailles)
qui vous met le dernier uppercut. Après cette scène, le spectateur un peu anesthésié avale les toutes dernières scènes, comme on boit un calice, c'est-à-dire jusqu’à la lie. La dernière image nous offre une fin en forme e point d’interrogation, uniquement interprétable par le son, et qu’on peut comprendre comme on veut, ou plutôt comme on peut. Il y a de jolis plans, de beaux travelling, des transitions soignées, tout cela est fait avec application et confirme tout le bien que je pense de Xavier Legrand. Mention spéciale à son générique de début, un défilé de mode sous forme de spirale
(la spirale, c’est ce qui va happer le personnage,
c’est malin que ce soit la toute première image) avec des mannequins maigres et blafardes, visages fermés et démarches saccadées, c’est presque hypnotique. Le personnage principal, sur lequel tout le film repose, est presque une petite caricature de créateur de mode : crane rasé, boucles d’oreilles, quasiment toujours habillé de noir comme une sorte d’uniforme, c’est Marc-André Grondin qui lui donne corps. Ce rôle est maigre en dialogue, il passe beaucoup de son temps mutique les sourcils froncés, écrasé par la succession de ce père à qui il ne parlait plus.
Déjà sujet aux crises d’asthmes et aux crises d’angoisses, Elias aura l’occasion de pleurer, de suffoquer, de sangloter, et de paniquer.
Et autant il parle peu et bas, autant quand il pleure il est assourdissant. C’est un rôle difficile que Mars-André Grondin tient. On peut peut-être trouver qu’il a le chagrin un peu trop expressif, mais la réalité c’est que personne, mais alors personne n’a envie de se retrouver dans sa position. Qui peut savoir comment nous tiendrions nos nerfs dans une situation comme la sienne ? A ses côtés, Yves Jacques incarne fort bien un ami du père d’Elias, que l’on trouve envahissant et pénible (du point de vue d’Elias), alors qu’à bien y réfléchir c’est un homme qui se comporte normalement. Mais la normalité, elle a volé en éclat lorsqu’Elias, en rangeant la maison paternelle,
découvre qui était réellement son père. Ce coup de théâtre n’en n’est pas réellement un dans le sens où on devine, plus ou moins, ce dont il est question : qui trouve normal de maintenir fermé à clef (et la clef dans un trousseau à part) un cellier à l’intérieur d’une maison, franchement ? Pas besoin d’avoir vu et lu beaucoup de polar pour voir arriver l’inéluctable, avec effarement.
A partir de ce moment clef (sans jeu de mot), le film bascule de la chronique familiale au thriller pur sucre.
Elias prends une mauvaise décision qui en entraine fatalement une autre puis une autre, et scelle son destin
. Il n’est pas évident de comprendre ce personnage à partir de là, car on ne sait pas ce qui motive réellement ses actes : la peur certainement, mais la peur de « qui », la peur de « quoi » ?
Le film tends à dire qu’Elias est comptable des actes de son pères, qu’il est « obligés » à sa succession, presque que l’hérédité le force à achever ce que son père à commencer. Or il n’y a rien de plus faux que cela !
C’est un peu l’incompréhension de ce personnage qui me perturbe. A moins qu’il n’ait été conduit à faire ce qu’il fait par peur de perdre sa toute nouvelles célébrité, auquel cas je comprends mieux son attitude,
qui reste malgré tout difficilement pardonnable
. « Le Successeur » est un film oppressant qui ne laisse pas indifférent, c’est un film qui laisse le spectateur sur une sensation très ambivalente et inconfortable. Si c’était le but recherché par Xavier Legrand, alors c’est parfaitement réussi.