Après son départ d'Europe, fuyant l'Allemagne suite à l'expansion du nazisme qu'il déteste, et après une brève escapade à Paris, Fritz Lang commence sa carrière aux USA sous la bannière de la Metro Goldwyn Meyer avec Furie, film de commande dont l'objectif engagé est de détoner en tant que réquisitoire sur le lynchage. Le réalisateur va alors s'y intéresser et se l'approprier pour le conformer à son grand thème de prédilection : la recherche de la justice. Une poursuite menée à travers Fury avec une maestria indéniable, dans un développement croissant en phase avec la tension dramatique. Spencer Tracy dans le rôle principal est magistral, son regard dur d'ange vengeur lui servira plus tard lors de son interprétation du Dr Jeykill et Mr Hyde de Victor Flemming. Mais le metteur en scène est trop habile pour laisser un acteur clé porter à lui seul le film sur ses épaules (ce que Spencer Tracy aurait sans aucun doute été capable de faire, mais là n'est pas la question). Sa place prédominante n'a de sens que si l'on considère tout le reste, à savoir ses proches (son frère et son ami, incarnés par des acteurs convaincants), sa femme bien sûr (Sylvia Sidney formidable sans ce rôle de fragilité et de déchirement intérieure), et les habitants d'une ville entière, dépeinte avec une farouche ténacité, une efficacité doublé d'un talent rare (la même que dans Les bourreaux meurent aussi, un des chefs d’œuvres de Lang). Tracer les lignes de ce tableau avec cette frénésie enragée permet à Lang d'apporter un dynamisme profond à son sujet. Il introduit le cadre de vie et de fonctionnement de la bourgade en citant différents niveaux emboîtés entre eux (les femmes qui échangent leurs ragots lors d'une scène métaphorique très drôle en parallèle avec la transmission alcoolique des rumeurs chez les hommes), les dissidences en rapport avec les postes occupés (le shérif bénéficie d'une aura de respect tant qu'il ne gêne personne). La caméra surfe avec rapidité, saisissant l'essentiel sur le vif, animant ce petit monde d'un bouillonnement émotionnel qui servira plus tard à déclencher la haine ardente conduisant au lynchage. Le dénouement tragique et implacable laisse le spectateur tout aussi furieux que la foule, avide de vengeance. Lorsque Joe Wilson reparaîtra, c'est notre propre image en miroir qui nous sera confronté, et cela nous aidera à prendre peu à peu conscience du bon choix qui s'impose devant l'attitude fanatique de la victime. Quant à ce dernier, toujours en forme de réponse à nos réactions morales, il choisira la voix de la justice, aidé par sa femme de manière subtile et intérieure. Furie est empreint d'une portée qui dépasse de beaucoup le simple cadre de la critique sociale, en nous imposant un examen de notre propre conscience. La construction du récit, l'utilisation du cadre de la caméra et la très belle photographie noir et blanc contribuent à élaborer cet écrasant suspens qui nous pousse dans nos derniers retranchements. La puissance et la diversité narrative n'atteint pas les sommets de Hangmen Also Die! Cependant, on s'en rapproche dans ce que l'on peut considérer comme son premier volume préparatif.