Les Lueurs d'Aden raconte l’histoire d’un ami d'Amr Gamal et de sa femme, tous deux issus de la classe moyenne. Avant la guerre de 2015, ils rencontraient déjà des difficultés matérielles liées à leurs bas salaires : "Parents de deux enfants, la femme de mon ami est tombée enceinte du troisième. Ils ont envisagé l’avortement mais à l’époque, ils pensaient que c’était interdit et que la société ne l’accepterait pas. Ils ont donc accueilli leur troisième enfant, malgré leurs réticences. Bien qu’ils aient utilisé des moyens contraceptifs, la femme de mon ami est de nouveau tombée enceinte. Après la guerre de 2015, ils avaient tous les deux perdu leur travail."
"Ils ont pris la décision de ne pas donner naissance à ce quatrième enfant. Il était un fardeau et compromettait l’avenir de la fratrie. Ils ont donc commencé à chercher ce qui, dans l’Islam, justifierait leur décision et leur donnerait le sentiment de ne rien faire de mal. Quand il s’agissait de leur troisième enfant, ils n’ont pas voulu entendre ce que les instances religieuses avaient à dire sur le sujet de l’avortement. Mais en ce qui concernait le dernier, ils ont écouté ceux qui disaient que l’avortement n’était pas grave, s’il intervenait avant 120 jours de grossesse. J’ai été frappé par la manière dont l’être humain, pour survivre, peut adapter ses croyances."
"Habituellement, le sujet de l’avortement est traité d’un point de vue féminin, mais ce qui m’intéressait ici, c’était de déplacer le problème à une famille toute entière", confie le réalisateur.
Faire un film au Yémen est une opportunité rare et Amr Gamal a voulu documenter la vie quotidienne d’une famille yéménite. Il précise : "J’ai toujours voulu utiliser mon art pour raconter ma ville, parce que j’y suis attaché. J’ai peur de me réveiller un jour et de ne plus retrouver les bâtiments, les magasins, les détails que j’aime. Tout le monde veut contrôler cette ville portuaire qu’est Aden. Mais les Yéménites ne respectent pas son histoire et sa culture. Ils disent toujours qu’il n’y a pas de véritable Aden, que c’est un mélange. Oui, je suis un mélange. Et j’en suis fier."
Amr Gamal a voulu faire un film brut et très réaliste, y compris dans le traitement des couleurs. Le metteur en scène explique : "Il a une valeur de témoignage. Nous n’avons pas de cinéma, et le cinéma, c’est l’Histoire. Je me sens donc la responsabilité de documenter les lieux et les événements au Yémen. D’autre part, j’ai toujours peur d’oublier la topographie d’Aden, à cause des guerres et des destructions qu’elle traverse."
"C’est dans ce but que j’ai décidé d’utiliser des plans larges et des plans d’ensemble qui montrent la ville et son architecture. Ainsi, ces lieux seront préservés pour la génération future. Elle pourra voir à quoi ressemblait la ville à cette époque."
Amr Gamal a opté pour des plans fixes. Il explique pour quelle raison : "Mes acteurs ne sont pas de grands professionnels. Si à chaque coupe, j’avais dû refaire la lumière, les éclairages et tout le reste, cela aurait pris un temps considérable. L’utilisation de plans fixes permettait aux acteurs de jouer de manière naturelle, sans qu’il soit nécessaire de faire des répétitions. Et puis, j’adore créer des « scènes de musée », ce qui me vient là encore du théâtre."
Amr Gamal a connu Khaled Hamdan à l’école. Le réalisateur et l'acteur avaient voyagé dans différentes villes du Yémen et fait des camps d’été ensemble, lorsqu'ils étaient étudiants. Amr se rappelle : "Il a deux ans de plus que moi et avait une expérience de comédien. Quant à Abeer, je l’avais vue dans des séries télévisées où elle avait très peu de lignes de dialogues. Je ne sais pas comment mais je me suis dit, en la voyant, qu’elle conviendrait parfaitement au personnage. J’ai eu l’impression qu’elle était très libre, ce qui ressemble à Isra’a."
"Même chose pour Muna (jouée par Samah Alamrani) que j’avais vue dans un petit rôle, également dans une série télévisée. Avant Khaled, j’ai répété pendant trois mois avec un autre acteur mais finalement, il a joué dans le Hamlet que j’ai monté pour le théâtre. Il n’avait pas cette gravité et ce poids qui pèse sur les épaules, nécessaires au personnage d’Ahmed. Pour trouver les personnages secondaires, nous avons lancé un appel sur Facebook qui a été très suivi. La mère d’Isra’a est, par exemple, interprétée par une journaliste qui vit à Aden."
"La maquilleuse a aussi endossé un petit rôle. J’ai fait des répétitions avec les deux acteurs principaux et curieusement, les scènes les plus difficiles à jouer, comme celles où Isra’a est bousculée par son mari, étaient réglées très vite. En revanche, les scènes de vie familiale ont été plus compliquées à mettre en boîte."