En apnée
J’ai découvert Boris Lojkine en 2019, avec son portrait de la photographe de guerre Camille Lepage, sous le titre de Camille. 93 minutes sur les épaules d’un cycliste pas comme les autres dans l’attente de son rendez-vous à l’Ofpra, - l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – qui va décider de la suite de sa vie. Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas pt. Puissant, haletant, bouleversant… du grand cinéma vérité.
Décidément, le Cannes 2024 aura été riche de belles émotions. Cette fois, c’est le Prix Un certain regard¸ - et le Prix Fipresci de la critique internationale -, qui nous est donné de découvrir et c’est un sommet d’émotions. Boris Lojkine souhaitait depuis plusieurs années faire un film sur ces livreurs à vélo qui sillonnent les rues de Paris et dont la plupart sont sans papiers. On découvre ainsi un Paname qu’on ne connaît pas : des HLM de grande banlieue aux immeubles haussmanniens du centre, des MacDo aux immeubles de bureau, des centres d’hébergement d’urgence aux wagons de RER… Mais encore plus nouveau pour nous, les coulisses de leur travail : les démêlés avec leurs titulaires de compte, les arnaques dont ils sont victimes, les relations avec les clients, leurs difficultés pour se loger, et des rapports avec leurs camarades livreurs, les collègues qui ne sont pas forcément des amis. Voilà la toile de fond de ce drame. Mais en plus, Lojkine a réussi à nous intéressé au cas particulier – qui ressemble sans doute à beaucoup d’autres -, de Souleymane et de « l’histoire » - fausse -, qu’on lui apprend afin de la réciter par cœur à la fonctionnaire de l’Ofpra afin d’obtenir un permis de séjour en bonne et due forme. Echouer à l’entretien de demande d’asile serait, pour lui, un véritable drame. Le film est trépidant, plus proche du thriller que de la chronique sociale, Souleymane est montré comme un insecte qui se débat dans un bocal, en proie à un système qui l’oppresse. Un film sans artifice, sans musique, avec une esthétique proche du documentaire. Le fait d’avoir filmé à vélo – un pour l’image, l’autre pour le son -, au milieu du trafic parisien apporte une authenticité inouïe à ce très grand moment de cinéma.
Presque tous les acteurs du film sont des non-professionnels sans aucune expérience de jeu. Abou Sangare, dans le rôle-titre, est tout simplement extraordinaire – Il a reçu le Prix d’interprétation Un premier regard à Cannes -. Il est entouré par Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse, Emmanuelle Yovanie et beaucoup d’autres. Ce regard sans concession aide à combattre l’indifférence, d’autant plus qu’Abou Sangaré est lui-même sans-papiers et frappé d’une OQTF. Sans mièvrerie, sans pathos, on suit avec passion – et ahurissement -, sa confrontation avec les réseaux de l’économie souterraine et l’absurdité administrative. Ue celui qui ne sort pas de la salle dévasté lève la main… Un très grand film qui sait éviter d’infliger une doxa politique pour se recentrer sur l’humain et la dramaturgie.