48h dans la vie d’un demandeur d’asile, 48h d’une vie que personne ne voudrait avoir à vivre : le réalisateur Boris Lojkine propose, avec « L’Histoire de Souleymane » un long métrage à mi chemin entre la fiction et le documentaire. Sans générique de début, sans presque de générique de fin, sans aucune musique hormis les son de la rue et le brouhaha des centres d’hébergement, la caméra suit Souleymane partout il va pendant les 48h qui précèdent son entretien. La caméra ne filme que lui, ne le quitte jamais et Souleymane l’emmène partout. Livreur à vélo
sous le compte de quelqu’un d’autre (qui le lui loue cher et se permet de lui faire ne plus la morale comme quoi il ne travaille pas assez)
, il pédale dans la circulation parisienne, récupère les plats, les livre avec plus ou moins de bonnes surprises, jongle avec une application qui lui demande souvent de se re-identifier.
Le reste de son temps « libre » est occupé à savoir où dormir, et à préparer son entretien. Il achète (cher là encore) un récit, des faux documents qu’il doit mémoriser sans se tromper car l’OFPRA traquera dans son récit toutes les traces de mensonge pour le piéger.
Le film, qui ne dure que 1h30, est très éprouvant. Personnellement, en larmes à la fin, je ne sais pas si j’aurais pu supporter 10 minutes supplémentaires. La vie de Souleymane n’est fait que de renoncement,
il est loin de sa maman malade, il doit renoncer à sa chérie restée au pays et qui, de guerre lasse va en épouser un autre. Il doit renoncer à ses droits car en tant que sans papier il n’en a aucun, on peu mal lui parler, on peu l’escroquer, on peut le battre, il n’a aucun moyen de se défendre.
Je le répète : personne n’a envie de vivre la vie de Souleymane. Pendant ces 48h, sa vie qui était déjà pénible devient impossible
avec le blocage du compte de livraison. Pourquoi ce compte a été bloqué, pourquoi son unique moyen de gagner de l’argent s’évapore ? Il n’en saura rien : peut-être ce restaurateur qui l’a fait poireauter 20 minutes dans le froid pour finalement mal lui parler ? C’est peut-être cette cliente qui a refusé la commande endommagée après un accident ? Ce sont peut-être des policiers en faction a qui il a livré leur repas et qui l’on dénoncé, histoire de jouir de leur petit pouvoir de nuisance ? Le scénario du « L’Histoire de Souleymane » prends une situation terrible et la transforme en quelques heures en drame, juste à cause de ce blocage.
Dans le monde Souleymane, et cela n’a absolument rien de fictionnel, les pauvres exploitent les très pauvres qui eux même escroquent les encore plus démunis. Alors oui, le film est éprouvant, à moins d’un avoir un cœur en acier trempé je ne vois pas comment on ne pourrait pas ne pas être bouleversée par l’histoire de ce jeune homme qui ne demande qu’à travailler et à s’insérer dans la société. Les 10 dernières minutes, à l’OFPRA mettent d’abord mal à l’aise :
la fonctionnaire cherche dans les détails les mensonges, elle pose des questions pièges.
C’est là où je me suis dit que même pour un salaire multiplié par 10 je ne ferais jamais ce boulot !
Ensuite, Souleymane vide son sac, enfin… Il craque et raconte son histoire, sa vraie histoire, il le fait avec ses mots et c’est bouleversant. L’histoire de Souleymane, la vraie, toute simple qu’elle soit, elle vous brise le cœur. Le film s’arrête net, on ne saura pas si sa sincérité aura suffit à convaincre la jeune fonctionnaire ni comment il va retrouver un moyen de subsistance.
S’arrêter comme cela après l’avoir suivi pendant 48h, c’est comme si on l’abandonnait à son sort, c’est difficile de sortir de la salle les yeux secs, dans le silence pesant d’un générique sans musique. C’est le comédien, lui aussi sans papier et totalement amateur Abou Sangare qui incarne Souleymane. Il n’incarne pas un rôle, ce rôle c’est celui de sa propre vie. Alors c’est peu de dire qu’il accroche la pellicule, que dans les moments où il soufre, on souffre, dans les moments où il craque, on craque, les moments ou il s’inquiète, on s’inquiète. « L’Histoire de Souleymane » est un film que je ne suis pas prête d’oublier et j’encourage tout le monde, sans exception, à lui consacrer 90 minutes de son temps.