L’histoire de Souleymane, drame, de Boris Lojkine
Une histoire qui soulève le cœur, démolit corps et esprit, tant l’empathie avec Souleymane nous saisit. Pas tant l'histoire de Souleymane d'ailleurs, que l'on découvre à la toute fin du film, que ce que Souleymane nous fait vivre sans temps mort à vélo, en courant, en transports, à 100 à l'heure, pour obtenir les papiers de sa régularisation. Et survivre. Une épopée de deux jours à bout de souffle, qui rendrait presque fade son histoire.
On découvre les arcanes triviales et enténébrées d’une vie de demandeur d’asile et d’apatride. S’armer de courage et de ténacité, garder son sang-froid, pour résister aux vicissitudes et contourner les chausse-trapes.
La question que pose ce film à mon avis, celle que Souleymane se pose lui-même dans un infinitésimal instant de répit, c'est : Pourquoi est-il venu en France ? Ce pays qu’ailleurs on se représente encore comme celui des Lumières, dans lequel il perd tout l’espace d’une aurore boréale : sa santé, sa dignité, sa famille, sa fiancée, son pays, son argent, son estime de soi, sa liberté. La France l'humilie, le décourage, l'enfonce, le culpabilise et c’est sans fin. Qu'il reste poli, élégant et rempli d'espoir n'y change rien : Souleymane dilapide les cellules de sa moelle organique à mesure que les heures passent. Il suffit de le suivre deux jours à Paris, chrono en main, pour s'en apercevoir, perdre pied, et se rappeler que Paris n'est plus une fête, mais une jungle broussailleuse, tentaculaire et féroce.
Souleymane s’obstine à y croire (a-t-il le choix ?). Son salut viendra de ce rendez-vous qu’il prépare, fiévreux, avec l’OFPRA et une conseillère qui aura le pouvoir de décider de son sort. Un rôle secondaire, pour Nina Meurisse. En apparence. Un rôle aussi court qu’essentiel, joué de manière irréprochable.
La situation réelle d’Abou Sangare se calque sur celle de Souleymane, ou l’inverse. Aujourd’hui, Abou Sangare demeure un sans-papiers sous OQTF. En même temps, comme dirait l’autre, il a reçu le prix du meilleur acteur, catégorie « Un certain regard », au Festival de Cannes 2024 et le film, le prix du jury. Un des paradoxes français.
À Abou Sangare, on souhaite le meilleur : des papiers, et de signer une fin la plus acceptable possible à son histoire.