Avec Reine Mère, Manele Labidi poursuit l’exploration des tensions identitaires et des contradictions du déracinement, déjà à l’œuvre dans Un divan à Tunis. Mais là où son premier long-métrage s’amusait des quiproquos culturels avec une légèreté mordante, ce second opus tente une approche plus ambitieuse, mêlant chronique familiale, satire sociale avec une pointe de fantastique.
Dès son point de départ, Reine Mère affiche son double enjeu : raconter l’ascension sociale contrariée d’Amel - femme d’origine tunisienne déterminée à préserver son statut - tout en sondant les déchirements intérieurs de sa fille Mouna, confrontée aux paradoxes de son éducation franco-maghrébine. C’est précisément dans ce tiraillement que Labidi tente une idée audacieuse : faire surgir Charles Martel en ami imaginaire de Mouna, après qu’elle a découvert en classe que ce dernier aurait arrêté les Arabes à Poitiers. Ce dispositif, s’il intrigue d’abord par sa portée métaphorique – la matérialisation des récits historiques comme armes inconscientes de l’exclusion –, finit par se diluer dans une mécanique illustrative et des propos trop explicites.
La force du film réside ailleurs, notamment dans la prestation de Camélia Jordana, qui incarne une Amel aussi fascinante qu’antipathique. Femme de poigne, obsédée par la réussite et l’apparence, elle incarne à elle seule le vertige de l’intégration à marche forcée.
Quant aux personnages secondaires, ils peinent à exister en dehors de leurs fonctions narratives, en particulier la figure masculine, parfois reléguées au rôle de faire-valoir.
Sur le plan formel, Labidi alterne entre une mise en scène appliquée et des éclats plus inspirés, notamment lors de certaines scènes fantasmatiques où la présence de Charles Martel devient un élément burlesque. Mais loin d’apporter une dynamique au récit, cette récurrence crée parfois un effet de distorsion, comme si le film hésitait sur la direction à prendre.
En définitive, derrière son discours, Reine Mère est une œuvre ambitieuse mais inaboutie, dont les fulgurances et les idées ne parviennent pas à masquer les failles.