« Règlement de compte à O.K. Corral ».
En effet, ce nom-là, personne ne l’a oublié. Personne ne connaît la vérité historique du lieu sur lequel s’est déroulé le fameux duel. Personne. Et pourtant, ce lieu-dit, que tout le monde semble apparemment connaître, résonne comme une partie de la légende du Far West. Car, si l’on s’étend à la ville (je peux la nommer, je ne risque rien), il s’agit de Tombstone. Quand même ! Tombstone. Et rien que de la mentionner, cette cité des morts nous rappelle combien l’Ouest a changé la face du monde. Wyatt Earp, les Clanton, cowboys et voyageurs solitaires, et même les vautours !, rejaillissent de notre mémoire. Un pan de l’Histoire s’est directement passé dans cette ville mortifère que nous semblons nous approprier à chaque fois que l’on évoque le mythe. Et quel mythe. Diable !
C’est donc à John Sturges, réalisateur déjà passé à la postérité grâce à « Fort Bravo », de malmener les faits historiques et la réalité pour le plus grand bonheur des spectateurs, auquel je fais décidément bien partie (merci John !).
Synopsis : Dodge City. Wyatt Earp apprend que l’un de ses amis shérifs vient de laisser passer dans sa ville le misérable Ike Clanton. Doc Holliday, lui, termine la besogne en tuant le frère (un certain Lee Van Cleef, si !!) d’un de ses ennemis. Entre Wyatt et Doc, les aventures ne font que commencer… jusqu’à aboutir au fameux duel épique et final.
Le scénario (les aventures) écrit par Georges Scullin et Leon Uris (signataire de « L’étau » d’Hitchcock) fouille à merveille tous les personnages. Les deux écrivains se penchent davantage sur la psychologie des personnages que sur la vérité historique. Mais qu’importe, car ici, les scénaristes poussent au paroxysme la personnalité de chacun. Wyatt Earp en shérif incorruptible et loyal, Doc Holliday l’aristocrate déchu penché sur l’alcool, Billy le benjamin des Clanton ne reprenant que le flambeau familial, Johnny Ringo le bandit-truand voulant tuer l’alcoolique Holliday…, tout cela fait que du point de vue scénaristique, « Règlement de compte à O.K. Corral » tient du drame humain. De plus, l’ouverture avec les plans-raccord des trois cowboys arrivant à Dodge City ainsi que la fermeture du film s’échappant du traditionnel happy ending hollywoodien anticipe la voie du western crépusculaire. Dans la veine de « L’homme qui n’a pas d’étoile » (toujours avec Kirk Douglas), « Règlement… » peut se targuer d’être le petit frère des Peckinpah ou Leone à l’image de « La horde sauvage » ou du « Bon, la brute et le truand ». Très bon de la part du metteur en scène des « Sept mercenaires », non ?
Ce qui m’amène ainsi à parler de l’ambiance. Toujours plus tendue au fur et à mesure que l’intrigue avance, elle est maintenue par les magnifiques paysages tournés en Vistavision par le réalisateur John Sturges, le chef opérateur n’étant que Charles Lang, le directeur photo de « Zaza » et de « Charade » !! De plus, la musique posée délicatement de temps à autre par Dimitri Tiomkin est onctueuse, à l’image de la chanson de générique chantée par Frankie Laine qui nous invite dans sa balade chevaleresque et ô combien country. Merci Franckie ! Et merci Dimitri de nous offrir une nouvelle fois une mélodie lyrique collant parfaitement au western. Faut-il rappeler qu’il est le compositeur de « La vie est belle » de Capra, du « Train sifflera trois fois », de « Géant »… ? Bien sûr que non. Mais voilà, je viens de le rappeler.
Toujours pour parler ambiance, l’action est ici mesurée même si l’on attend avec impatience le duel que va se livrer les deux bandes. Maîtrisée, la violence est à son comble dans le duel final. L’intensité, aussi. La scène, millimétrée et jouissive au possible, est celle que l’on attend tous. Le dénouement. Qui va survivre à ce moment précis de l’Histoire, à Tombstone Arizona ? Wyatt ? Les Clanton ? Mystère… . Les moments d’action, allongés de moments toujours plus intimes, notamment dans l’avancement de l’intrigue, sont millimétrés au possible, tout comme les cartouches de Wyatt. . Ici, le futur réalisateur de « La grande évasion » fait preuve de rigueur et de maîtrise car il est aidé de Warren Low au montage, parfaitement équilibré. Le monteur de « La main qui venge » de Dieterle, c’est lui. La maitrise de la mise en scène (et du montage) est donc flagrante. Non pas que John soit un vrai maître en terme de cinéma, mais bien l’artisan du western moderne, au contraire du classicisme fordien porté par sa magnifique « Prisonnière du désert » (Natalie Wood, la ‘propriété interdite’ de Sydney Pollack).
Après, pour parler casting, tous les shérifs de l’Ouest peuvent s’aligner pour revendiquer tous les as que Doc a substitués durant toutes les parties qu’il a jouées dans tous les casinos de l’Ouest. Pour ainsi dire, l’interprétation est excellente, d’autant que toutes les générations se succèdent. Tout d’abord, le roi du poker, Kirk Douglas, dans un excellent rôle (pour changer !). Le seul ami qu’il va se faire se prénomme Burt Lancaster. Génial, Wyatt ! Ou devrais-je dire Monsieur le ‘Guépard’ ? John Ireland campe l’irascible Johnny Ringo quand il a déjà joué Billy Clanton pour John Ford dans « La poursuite infernale », alors que le tout jeune ‘rider’ Dennis Hopper tient ici ce rôle. Etonnant, non ? On peut également citer des grands du cinéma qui se font ici seconds voir derniers couteaux : Lyle Bettger (Ike Clanton), Whit Bissel (Clum), Lee Van Cleef (le premier mort du film, et déjà cité plus haut), Brian G. Hutton (le futur réalisateur de « Quand les aigles attaquent » !) et Jack Elam (l’inoubliable gueule d’introduction de « Il était une fois dans l’Ouest »).
Pour conclure, « Gunfight at the O.K. Corral », l’un des premiers westerns à gros budget qui fût une réussite au box-office mondial grâce au bouche à oreille, reste et restera ce film d’anthologie signé par l’artisan Sturges. Un film de légende également car emporté par les Douglas, Van Cleef, Lancaster… . Un monument du cinéma logiquement aujourd’hui considéré comme un classique.
Pour tous les amateurs de western.
Spectateurs, quand la réalité devient légende, la poussière devient misère, les balles remplacent l’épitaphe… et l’Ouest se manifeste ...par l’artiste. Sturges !