Le Royaume, premier long-métrage de Julien Colonna, s’impose comme une œuvre à la croisée des genres, alliant vendetta mafieuse et drame intime, violence héritée d’un monde archaïque et liens complexes unissant un père à sa fille. Inspiré par l’histoire personnelle de son réalisateur, dont le père (Jéan-Jé Colonna) appartenait au milieu corse, le film trouve un équilibre fragile entre réalisme brut et fable méditative. Le traitement de la violence est particulièrement sobre, sec, intérieur. Plutôt que de multiplier les scènes sanglantes, Colonna mise sur la suggestion, capturant la peur et la tension à travers des silences, des regards, des errances dans la beauté brute du paysage.
Le film s’ouvre sur une scène de chasse, quasi rituelle, baignée d’une atmosphère dense et viscérale, liant père et fille dans un cérémonial où vie et mort se répondent. La séquence, admirablement mise en scène, annonce la tonalité du film : un mélange d’intensité sensorielle et de tension dramatique. Le récit, construit autour de la traque d’un clan mafieux, se distingue par sa manière de détourner les clichés. Loin de glorifier la vendetta ou de sombrer dans un folklore insulaire caricatural, Colonna choisit un prisme sensible : celui de Lesia, une adolescente confrontée à la complexité des actes de son père. Cette projection dans un univers mafieux qu’elle ne comprend qu’à demi-mots, donne au récit une teinte onirique, quasi initiatique, Lesia apparaissant comme une Alice perdue dans un maquis labyrinthique. Lors des rares moments qu’ils peuvent passer ensemble, Pierre-Paul, figure paternelle rongée par ses choix passés, tente de transmettre à sa fille des fragments d’humanité et d’amour dans un contexte où tout semble voué à la destruction. Une scène particulièrement marquante montre le père confiant à sa fille le secret de sa vendetta : un héritage de haine et de violence qu’il mêle au royaume de l'amour infini. Ce moment, suspendu entre tendresse et fatalité, est une réflexion poignante sur l’héritage, le poids des choix, et la possibilité d’échapper à un destin tracé d’avance.