Yorgos Lanthimos est un réalisateur dont la singularité ne fait plus débat. Avec Kinds of Kindness, il livre une fresque en trois actes où l’absurde côtoie le tragique, où l’humour noir frôle la misanthropie, et où l’esthétique glaciale dissimule une quête de sens parfois insaisissable. Chaque segment offre une variation sur un même thème : l’aliénation sous différentes formes. Si l’ambition du projet force le respect, le résultat oscille entre éclairs de génie et frustrations.
Le premier récit nous plonge dans un cauchemar bureaucratique où un homme, réduit à une marionnette entre les mains d’un supérieur omnipotent, tente d’échapper à son conditionnement. Comme souvent chez Lanthimos, la mise en scène joue sur la rigidité des cadres et la sécheresse des dialogues pour souligner l’absurdité du pouvoir et de la soumission. La mécanique fonctionne à merveille dans un premier temps, mais finit par s’étirer jusqu’à l’épuisement. Si l’inconfort est là, la réflexion tourne en boucle sans jamais parvenir à un point de rupture véritablement marquant.
La deuxième partie bifurque vers une atmosphère plus intime et paranoïaque. Un homme retrouve sa femme disparue, mais tout semble indiquer qu’elle n’est plus la même. Le concept est fascinant, et Lanthimos s’amuse à manipuler les attentes du spectateur. Chaque plan est chargé d’un malaise latent, chaque échange transpire l’ambiguïté. Pourtant, l’expérience peine à atteindre son plein potentiel. La lenteur contemplative, qui aurait pu renforcer la tension, finit par éroder l’impact émotionnel. L’idée est forte, la réalisation est impeccable, mais l’histoire semble manquer d’un véritable point d’ancrage.
La dernière histoire, quant à elle, est la plus audacieuse. Une secte aux rites étranges, des adeptes à la recherche d’un miracle, une femme qui pourrait ramener les morts à la vie. Sur le papier, tous les ingrédients sont réunis pour une conclusion magistrale. En réalité, la fable s’embourbe dans ses propres bizarreries. L’absurde devient une fin en soi, et le film, en refusant tout point d’entrée émotionnel, s’isole dans un cynisme trop hermétique pour être pleinement engageant. Les moments de pur génie côtoient des scènes qui peinent à justifier leur existence.
Visuellement, Kinds of Kindness est une réussite incontestable. La photographie millimétrée, le travail sonore oppressant, la précision des cadres, tout participe à une atmosphère hypnotique et dérangeante. Le casting, lui aussi, est irréprochable. Jesse Plemons, en particulier, brille dans des rôles multiples qui exploitent sa palette nuancée. Emma Stone capte l’attention à chaque apparition, et Willem Dafoe injecte à son personnage une dose de folie parfaitement dosée.
Alors, qu’en reste-t-il ? Un film d’une richesse indéniable, qui regorge d’idées et de fulgurances, mais qui semble parfois se perdre dans son propre labyrinthe. L’intelligence du propos est là, la virtuosité formelle aussi, mais l’ensemble peine à véritablement toucher, à s’ancrer dans quelque chose de profondément marquant. Une œuvre fascinante, frustrante, et difficile à oublier.