Paul Verhoeven est l’un de ces réalisateurs étrangers (lui est Néerlandais) qui ont fait une partie de leur carrière à Hollywood (tout comme le cinéaste chinois John Woo). Mais la plupart d’entre eux finissent broyés par les codes qu’impose cette grosse industrie du cinéma international, au point de faire perdre à ces metteurs en scène tout leur talent. Conduisant à des films certes spectaculaires mais au final sans âme (quoique que personnellement, je reste encore sans voix face au Volte/Face de John Woo). Et pourtant, Verhoeven s’est fait un nom dès son premier film hollywoodien, RoboCop, qui fut un véritable pied de nez à toutes les conventions du divertissement américain.
Pour rappel, nous sommes ici dans les années 80. La période où Hollywood se risquait à des œuvres qui, sur le papier, n’avait rien de prometteur et qui sont néanmoins devenues cultes (Terminator, Retour vers le Futur, Predator…). Osant même d’aller plus loin dans la mise en scène (Blade Runner) ou dans le concept scénaristique (The Thing), à défaut de perdre les spectateurs (qui ne seront pas présents lors de leur sortie en salles). Mais pour la plupart d’entre eux, les codes hollywoodiens se font remarquer quelque soit le succès du film, mettant sur le devant de la scène un divertissement agréable mais qui ne sort pas de l’ordinaire (l’exemple le plus flagrant étant Le Flic de Beverly Hills). Ces conventions étant la non violence visuelle, l’humour, des acteurs charismatiques, une histoire d’amour, de l’action… Ce genre de choses qui permettent de rendre le produit accessible à un large public, pour garantir le succès commercial!
Bien qu’il soit nouveau dans le paysage du cinéma américain, Paul Verhoeven va pourtant tout casser. Et ce à partir d’un scénario de science-fiction à première vue banal (qui a bien eu du mal à être financé par une société de production, jugeant l’histoire difficile à concrétiser voire inintéressante). Soit un futur proche où des scientifiques et ingénieurs tentent de créer une nouvelle police à partir de la nouvelle technologie (ordinateurs, robots…), l’ancienne (avec des humains en uniforme) étant devenue inefficace. Un futur parmi lequel va naître RoboCop, une machine fabriquée à partir du corps d’un policier récemment décédé. Qui va arpenter les rues de Détroit pour combattre la criminalité, étant programmé pour cela.
À partir de cela, Verhoeven va en tirer un film qui suit sa propre vision et non celle des producteurs. Un long-métrage qui ne va nullement se perdre dans une romance inutile. Qui livre de la violence de manière gratuite (impacts de balles à foison, bras qui tombent, défiguration après éclaboussures de produits chimiques…) comme il est rare de voir à Hollywood, autre que dans un film d’horreur. Qui, par le biais de cette violence visuelle, s’aventure dans un humour d’une noirceur incommensurable, compréhensible au second degré. Qui se permet d’user d’effets visuels pourtant jugés obsolètes (le stop-motion ou l’« image par image ») alors qu’Hollywood entre dans la modernité (l’animatronique et les effets numériques qui étaient à leurs débuts).
Et qui, surtout, va bien plus loin que son postulat de base ! Car il est presque fort à parier que le script de base suivait un cyborg faisant régner l’ordre et la justice. Ni plus ni moins ! Qui ne contenait nullement des séquences de « 20 heures », qui présentent des informations de manière parodiques. Se moquant des médias via des journalistes souriants et tout propres sur eux, s’offrant le luxe de placer une petite touche d’humour sur des sujets plutôt durs. Mais aussi, RoboCop se présente également comme une critique de la société moderne. Celle qui se cache de plus en plus derrière la modernité. Celle qui se déshumanise. Et ce par le biais du personnage de RoboCop, ancien humain devenu machine (contre son gré, suivant la mode) pour accomplir une des obsessions de l’humanité (l’ordre et la sécurité). Un postulat qui sera mis en valeur justement lors des scènes de journal télé, qui seront coupées par une page de publicité faisant l’éloge de nouvelles technologies.
Proposant au passage un casting constitué essentiellement de comédiens peu connus. À commencer par Peter Weller, qui ne sera d’ailleurs connu que pour le rôle de RoboCop. Arrivant à rester inexpressif telle une machine, d’avoir une gestuelle mécanique dans un costume réussis (notamment au niveau du crâne de l’acteur) mais surtout hautement inconfortable. Suivi par une Nancy Allen pétillante, qui ne se présente jamais comme la greluche blondasse qu’il faut constamment sauver, et un Kurtwood Smith inquiétant et impressionnant de sadisme.
Après, il est dommage de voir à quel point RoboCop ait très mal vieilli. Si les décors sans âme de Déroit reflètent parfaitement la déshumanisation de la société, les effets spéciaux, eux, n’ont plus du tout le même charme qu’auparavant. Notamment en ce qui concerne l’animation en stop-motion de l’ED 209 (sorte de machine bipède), dont les rides ressortent un peu trop. Et puis, la musique ne fait pas partie de celles qui sont restées mémorables en ces années 80 (contrairement à Indiana Jones, E.T., Retour vers le Futur, Predator, Le Flic de Beverly Hills et Gremlins).
Mais il faut regarder le budget pour se rendre compte que RoboCop est un film qui n’a coûté que 13 millions de dollars (alors qu’actuellement, la moyenne d’un blockbuster tourne autour de 150 millions). Et franchement, livrer un tel long-métrage pour si peu, cela relève presque du miracle ! Ou, tout simplement, du talent de son réalisateur Paul Verhoeven, qui a su imposer son style au lieu de crouler sous le poids hollywoodien. Préférant faire le film comme il le souhaitait et de gagner honorablement son public. Une ambition qui lui sera d’ailleurs favorable, lui permettant de continuer sur sa lancée (Total Recall, Basic Instinct, Showgirls, Starship Troopers). Et d’avoir fait de RoboCop une figure emblématique du cinéma de science-fiction (entraînant des suites, séries et téléfilms).