Sous la direction des frères Valentin et Frédéric Potier, Prodigieuses déploie un récit d’une densité émotionnelle rare, où la musique, miroir et catalyseur, devient le fil conducteur d’un drame familial à la fois intime et universel. Les sœurs jumelles Vallois, interprétées avec une profondeur saisissante par Camille Razat et Mélanie Robert, incarnent la fragilité humaine sublimée par la création artistique. Leur ascension dans le monde exigeant de la musique classique, brutalement interrompue par une maladie orpheline, se transforme en un parcours de résilience où le désespoir cède la place à l’innovation.
Dès les premières scènes, les Potier installent une tension douce, presque palpable, qui se déploie dans un cadre visuel épuré. Leur mise en scène joue sur les non-dits, les regards et les silences, créant un dialogue implicite entre l’image et le son. La caméra, souvent portée à hauteur d’âme, épouse les gestes des jumelles avec une précision organique, conférant aux scènes de piano une gravité quasi sacrée. On y décèle des échos de La Pianiste de Haneke, non dans une imitation servile, mais dans la manière dont les corps et la musique se répondent, révélant les fractures intérieures des personnages.
La performance des actrices principales mérite une mention particulière : Razat et Robert insufflent à leurs personnages une humanité complexe, entre rivalité et fusion, ambition et renoncement. Franck Dubosc, dans un rôle inattendu, se mue en patriarche inquiet, tiraillé entre l’amour intransigeant et la culpabilité. Isabelle Carré, quant à elle, apporte une touche de légèreté discrète mais essentielle, comme une pause dans cette symphonie dramatique.
Au cœur du film, la musique transcende son rôle de bande sonore pour devenir une véritable métaphore de l’existence : fragile, exigeante, mais infiniment réparatrice. Les compositions originales et les pièces classiques se mêlent, traduisant les fluctuations émotionnelles des jumelles. Chaque note, chaque pause, semble porter le poids d’une lutte intérieure et d’une réinvention nécessaire.
Si l’écriture narrative pèche parfois par une linéarité un peu trop sage, et si certains personnages secondaires, notamment Klaus Lenhardt, manquent d’étoffe, ces failles ne ternissent pas l’éclat général de l’œuvre. Les Potier s’affirment ici comme des cinéastes capables de capter l’essence d’un drame humain sans sombrer dans le pathos ou l’artifice.
Prodigieuses n’est pas seulement un film sur la musique ou la maladie ; c’est une méditation sur la manière dont les êtres humains se reconstruisent face à l’adversité. Par sa sensibilité et sa vision, il s’inscrit dans une tradition artistique contemporaine qui cherche, non pas à apporter des réponses, mais à poser les bonnes questions. Un récit d’une grande sincérité, qui interpelle autant qu’il émeut.