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Bart Sampson
341 abonnés
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3,0
Publiée le 12 avril 2024
Film assez crépusculaire car sa construction est toute versée vers une fin tragique, les pogroms qui ont éclaté en Europe de l'Est contre les populations juives. La photographie est magnifique, l'interprétation tour à tour en émotions rentrées ou en décharge de violence. On en sort un peu chamboulé et pas forcément rempli d'optimisme sur l'espèce humaine. Un peu plombant.
Austère, exigeant et dense, Semaine sainte, le troisième long-métrage d'Andrei Cohn, est une adaptation libre d'un court roman roumain. Son cadre est bucolique, l'époque indéterminée : au début du XXe siècle, semble t-il, avant les atrocités du nazisme et du bolchevisme, en tous cas. Le petit village a beau paraître tranquille, de grandes tensions y sont pourtant présentes et la présence d'un aubergiste de confession juive n'y est sans doute pas étrangère. Le film analyse les mécanismes de l'ostracisme et de la haine, au sein d'une sorte de huis-clos à ciel ouvert, où une simple étincelle serait susceptible d'allumer un incendie. Le film est surprenant, non seulement pour ses saisissantes scènes d'ouverture et de clôture, mais aussi pour son intrigue qui devient aussi folle que ses personnages, avec la peur, ou bien est-ce la paranoïa, pour moteur. Le cinéaste se défend d'avoir réalisé un film politique mais il en a pourtant toutes les caractéristiques, surtout à l'époque actuelle, marquée par l'intolérance et la véhémence. Semaine sainte prend son temps pour amener son récit vers son inéluctabilité. Mais les temps morts y sont rares, dans un paysage rural somptueux qui contraste d'autant plus avec les outrances et les aigreurs humaines.
Leiba, un aubergiste juif, est en conflit avec Gheorghe, son employé paresseux et alcoolique. Il le licencie mais Gheorghe promet de se venger. Le village, gangréné par l’antisémitisme, se ligue vite contre l’aubergiste et menace sa famille.
Aucune indication de lieu ni d’époque ne nous est fournie. Mais on devine qu’on est au début du XXième siècle dans la campagne roumaine (dans le delta du Danube peut-être). On pense aussitôt à "Shttl", qui se déroulait presque à la même époque, presque au même endroit et qui racontait presque la même histoire. Il s’agit dans ces deux films d’évoquer l’antisémitisme qui a dressé les goys contre les Juifs dans l’est de l’Europe, avec, chez le spectateur contemporain, la prescience du génocide nazi à venir qui rayera cette communauté de la carte.
La mise en scène de "Semaine sainte" est déroutante. Contrairement à la tendance actuelle du cinéma à filmer de longs plans séquence où la caméra tourbillonne au milieu du décor – comme c’était par exemple le cas dans "Shttl" – Andrei Cohn préfère l’immobilité des plans fixes. Ces plans sont savamment composés, comme le montre l’affiche du film. Selon qu’on y regarde l’avant-plan ou l’arrière-plan, on y lit deux histoires différentes.
Au-delà de la composition des plans, le plus déroutant dans Semaine sainte est son montage. Andrei Cohn pratique l’art de l’ellipse. L’essentiel de l’action se déroule entre les plans. L’exercice sollicite le spectateur qui doit rester sur le qui-vive. Le défi est exigeant, dans un film qui s’étire sur plus de deux heures. Ainsi des trois plans qui clôturent le film. J’ai mis longtemps à en comprendre la signification dont je ne suis encore pas tout à fait certain.
Un thriller magistral et exigeant au travers duquel court une tension permanente - ce film, en prenant le temps de construire le monde de ses personnages, permet de regarder de près la mise en place de cet engrenage de la violence auquel personne ne semble pouvoir échapper et qui alimente la peur jusqu'à ce que l'irréparable soit commis... Un écho glaçant de la situation actuelle...