Kristopher Borgli, à la réalisation comme au scénario, nous propose un film inclassable qui parvient à nous faire rire, à nous angoisser et à nous faire réfléchir, tout cela en même temps. « Dream Scenario » nous plonge dans la réalité étrange d’un homme un peu falot, sans aspérité et que même, sous certains aspects on pourrait qualifier de looser. Du jour au lendemain, le voilà qui se met à apparaitre dans les rêves de tout à chacun
(sauf dans ceux de son épouse, curieusement).
En partant de ce postulat très original, Kristopher Borgli aurait pu proposer un film grand spectacle, une pure comédie loufoque ou un thriller. Il choisit de ne pas choisir et de proposer un peu tout cela en même temps. Le film alterne entre les scènes de réalité et les scènes de rêve sans que parfois, il soit aisé de distinguer de prime abord. Il n’abuse pas du procédé (parfois on comprend immédiatement qu’on est dans un rêve) mais quand il en use, c’est à bon escient. A part ces quelques scènes de rêves hautes en couleur (catastrophe, érotique, cauchemars…), le film est bien filmé et bien mis en image, mais rien de follement original. C’est comme si la réalisation, en magnifiant les scènes de rêves puis en filmant la réalité de façon très conventionnelle, voulait marquer fortement la frontière entre la situation normale d’un type normal et la situation anormale dans laquelle il se retrouve plongé. On peut grossièrement découper le film en trois parties. La première flirte avec la comédie, Paul Matthews découvre son étrange célébrité, essaie de surfer un peu dessus pour enfin faire publier son livre universitaire (un livre érudit sur les fourmis qui n’a aucune chance de voir le jour !), il s’amuse des récits de rêves qu’on lui fait et accepte des interviews.
Mais la situation ne met pas longtemps à devenir tragique. Le film bascule lors d’une scène (très) malsaine où il se laisse embarquer dans un rendez-vous avec une « rêveuse » qui veut reproduire son rêve. C’est comme si, on agissant ainsi, il avait fait basculer le phénomène en mêlant rêve et réalité.
Lorsqu’il se met à devenir horriblement violent dans les cauchemars,
le film quitte le domaine de la comédie absurde pour venir dénoncer, avec une certaine pertinence,
les excès de la « cancel culture ». Paul est ostracisé de plus en plus fortement, avec de plus en plus d’excès et d’injustice alors que, contrairement à tous ceux qui se disent victimes de la « cancel culture », lui n’a absolument rien fait de mal. En montrant un homme rejeté alors même qu’il est parfaitement innocent de tout, le scénario joue sur du velours : les élèves de l’Université font la loi et sa direction l’abandonne, les passants se sentent offensés par sa seule présence et il doit partir, les gens se sentent menacés par lui et leur ressenti compte davantage que la réalité. Même si le curseur est parfois poussé loin (la scène de la thérapie collective à l’Université), la démonstration est assez convaincante et surtout totalement édifiante. Dénoncer la « cancel culture », on peut le faire bêtement comme un boomer lambda « De nos jours, on ne peut plus rien dire, gna, gna, gna… » ou le faire ainsi, par l’absurde assumé.
La troisième partie du film dénonce pour le coup autre chose : le cynisme de la société de consommation. Le phénomène, aussi incompréhensible qu’il soit,
fait saliver les publicitaires et escrocs de tout genre qui se mettent à imaginer du placement de produit dans les rêves de consommateurs, c’est « Inception » qu’on assassine !
Ce qui avait débuté comme une comédie absurde se termine en tragédie intime, celle d’un homme lambda écrasé par une célébrité venue de nulle part
et qui aura fracassé sa vie
. Nicolas Cage incarne un Paul Matthews souvent pathétique, parfois ridicule mais qui finit par susciter une vraie empathie. Nicolas Cage, qui aura parfois fait des choix discutable dans sa carrière d’acteur, prouve dans « Dream Scenario » ce dont il est capable. Le film repose presque totalement sur ses épaules, et il tient la route dans tous les registres du jeu. Le film de Kristopher Borgli, très intriguant sur le papier, commence comme une comédie absurde pour nous embarquer, presque par surprise, vers des rives plus arides, plus acide et plus noires qu’on ne l’avait imaginé. C’est un film original, bien mené, qui suscite une vraie réflexion de fond sur la toxicité de la célébrité et l’absurdité du monde.