« Rêver, c’est similaire à une psychose, Sophie. »
Nicolas Cage peut être capable du meilleur comme du pire. Dès les premières minutes, on sait que Dream Scenario sera à ranger dans la première catégorie. En effet, le personnage du film de Kristoffer Borgli, jeune touche-à-tout du cinéma norvégien encore méconnu hors de Scandinavie, est incarné à la perfection par l’éclectique acteur, carrément méconnaissable en prof de psycho mou et larmoyant à la Droopy.
Sauf que Droopy devient, sans qu’on sache pourquoi, cet autre personnage de Tex Avery qui traverse la scène en sifflotant, qui traverse en l’occurrence les rêves de quidams. A travers l’humour de situation généré par le présupposé absurde, Dream Scenario est surtout une comédie noire, qui questionne nos névroses à travers nos rêves,
le personnage endossant tour à tour le rôle de témoin indifférent, de fantasme, de bourreau et de victime
, ainsi qu’une parabole au vitriol sur les comportements de gens ordinaires soudain mis sous le feu des projecteurs et le rapport à la célébrité instantanée, à sa vacuité et aux conséquences sur l’entourage proche (le conjoint, les enfants, les élèves, les collègues) et les liens entre l’individu et le groupe,
symbolisé par le zèbre dont les rayures sont censées le fondre dans la masse pour mieux le protéger mais qui le rendent vulnérable parce que trop visible s’il en est détaché
. Il y a aussi le retournement de cette situation qui confine au harcèlement de meute, nourriture abondante dans nos sociétés surmédiatisées, qu’il s’agisse des chambres d’écho que sont la télévision ou les réseaux sociaux et, là encore, leurs conséquences sur les proches. On n’est d’ailleurs pas très éloigné d’une réflexion sur les intellectuel·les médiatiques qui ont perdu tout contact avec leurs recherches pour courir derrière une notoriété virtuelle faite de bad buzz et de provocations bankables.
Dream Scenario est une œuvre à tiroirs imbriqués les uns dans les autres, comme un dessin de M.C. Escher, jusqu’au copyright final signé Paultergeist Pictures.
On soulignera l’originalité du scénario, bien sûr, et la parfaite maîtrise narrative qui tiennent le film debout, en équilibre, mais également la richesse visuelle de l’oeuvre qui nous immerge dans l’histoire, grâce à une réalisation parfois superposée, parfois décentrée, au grain qui rend hommage au cinéma indépendant des années ’90, ou encore aux dialogues ultra réalistes. Comme souvent pour ce genre d’exercice, il faut pouvoir compter sur une interprétation irréprochable et Nicolas Cage, admirablement dirigé, tient le haut du pavé tandis que les interprètes secondaires, globalement peu connus à l’exception de Michael Cera, dans un petit rôle, jouent plus que juste.
C’est intrigant, c’est triste, c’est drôle, c’est constamment inattendu, c’est dense, c’est bougrement intelligent et c’est à voir absolument.