On peut difficilement parler de "Taxi Driver" et de son impact sans évoquer le contexte dans lequel il a vu le jour, à savoir la sortie de la guerre du Viêt Nam. Scorsese propulse à l’époque son film comme un boulet de canon au sein d’une société traumatisée, marquée par la violence et vaincue au terme des deux guerres d’Indochine au sein même de ses idéologies. Si le film de Scorsese aura fait couler tant d’encre, c’est justement que son "Taxi Driver" met en lumière Travis Bickle, ancien vétéran reconverti en chauffeur de taxi pour occuper ses nuits d’insomnie, véritable antihéros s’engouffrant progressivement dans la brume violente des nuits new-yorkaises, et qui, dégoûté par ce que la nuit impose comme horreurs, s’autorisera à faire ce que les politiques semblent incapables, selon lui, de mener à bien, à savoir « nettoyer » la ville de la « vermine » qui y coule des jours tranquilles. Figure type du traumatisé de guerre, Travis cristallise la solitude, la paranoïa, les peurs et les dégoûts d’une société ébranlée dans ses certitudes. Tout le talent du réalisateur est de partir d’un personnage dont la fragilité émotionnelle et sociale (sa relation avec les femmes, son rapport au sexe et ses relations familiales le prouvent) pour dénoncer la figure du héros américain, mi-cow-boy (cf. les bottes de Travis) mi soldat (cf. la veste, l’iroquois) dont la violence est finalement guidée par la xénophobie, l’exclusion au monde et les diverses obsessions nourries d’un imaginaire social qui érige ces actes en véritables gloires nationales. Si actuellement le film choque moins, s’il nous semble « gentillet » par rapport à la débauche de violence qui envahit nos salles obscures, il faut tout même reconnaître que le propos du film nous parle toujours autant en 2013, c’est dire si Scorsese a su mettre en images les maux qui rongent la société contemporaine.
Impossible aussi de parler du film sans évoquer De Niro. Je ne vais pas en rajouter des couches, mais simplement dire et redire, un peu inutilement mais quand même, à quel point il est un acteur phénoménal, puissant, habité et captivant. Quand on voit "Taxi Driver" l' on comprend sans trop se creuser la cervelle pourquoi il est devenu un grand paon du cinéma. Quelques regards dans le rétroviseur suffisent à capter la folie qui germe en sein du héros, toute l’ambiance du film transparaît par quelques gestes, quelques mimiques et la scène suivant le carnage final
où il mime de se tirer une balle dans la tête
est un excellent exemple de l’intensité de son jeu. Enfin, les scènes, trop rares à mon goût, entre Travis (De Niro) et Iris (J. Foster) offrent au film une humanité forte, comme une porte d'accès à la personnalité complexe de Travis ainsi que l’occasion de savourer le talent naissant, mais bien présent de Jodie Foster.
En conclusion, si Taxi Driver n’est pas forcément le film que je verrais et reverrais en boucle, il s’impose comme une œuvre culte qui a profondément marqué le cinéma, mais aussi la société américaine de son époque et servie par des acteurs carrément géniaux. J’ai longuement hésité pour la note… entre 3, 3,5 et 4 pour finalement opter pour la note la plus élevée en raison de la qualité visuelle du film, de l’apparition de Scorsese himself en client de Travis totalement sociopathe qui envisage de faire exploser la cervelle de sa femme ainsi que pour la performance de De Niro.