Il y a des films, & puis il y a des scénarios. Taxi Driver est de ces derniers, projection d’un scénariste victime d’isolement dont la réalisation du film se trouva être le remède. Si l’on sait que c’est lors d’une crise d’écriture que l’auteur l’a écrit avec un pistolet chargé à ses côtés, on ne s’étonne plus de trouver tant de vie dans la crasse & la racaille new-yorkaise, normalement brossée dans le sens du poil quand on n’a pas affaire à Pulp Woman ou Pretty Fiction, & cela donne une raison d’être à des phrases gonflées à bloc dans un environnement qui n’y est pas propice.
De Niro s’enfonce dans la jungle de la Grosse Pomme d’où, comme il le dit, sort toute une faune la nuit. Le taxi est l’excuse parfaite pour reposer la caméra tout en la laissant capturer les créatures & le paysage à son passage. Un regard insistant, pas politique malgré le candidat qui se présente aux présidentielles en toile de fond, dont le jour & la nuit qui clignotent sont les clins : Travis Bickle conduit peut-être un taxi mais il a sa propre conscience & sa manière de l’imposer sans le vouloir, dans sa solitude à la Limitless qui finit par être un plus gros moteur à son existence qu’il n’en a besoin pour ses courses.
Remuer le terreau cinégénique urbain, cela ne consiste pas qu’à soulever des mottes de gros mots & en prendre de la (mauvaise) graine. Sédentarisé depuis son road movie Alice n’est plus ici qui starrait aussi Keitel & Foster, Scorsese l’avait déjà compris. Quand les yeux humides du taxi driver finissent par se faire les loupes sur son pétage de plombs, il n’y a qu’un problème : il manque le trigger, le déclencheur. Paul Schrader était-il plongé trop loin dans l’écriture thérapeutique pour s’en soucier ?
Son personnage, d’abord cynique & survivaliste comme un autre taxi driver (lui aussi vétéran) qu’on trouvera plus tard chez Besson, devient sociopathe. Très bien. Son isolation a le mérite de s’exprimer. Mais elle a ce côté naïf qui lui fait perdre le sens des proportions & de la convenance alors même qu’il s’autoconscientise dans la volonté de sortir du cercle autodestructeur.
Il louche toujours sur les clients plus ou moins recommandables monopolisant sa banquette arrière, mais il ne change pas d’une manière que ce que l’on voit pourrait expliquer. Héros malgré lui, terroriste, âme charitable, driver qui ne drive plus beaucoup, De Niro finit par incarner l’inconstance, & ça fait beaucoup d’agitation pour un taciturne.
Scorsese prend beaucoup d’élan & recharge aisément la batterie des quotes célèbres avec ce concentré de bouches de métro vaporisantes. Ses weirdos sont croustillants & son safari truffé de photos acerbes, constamment dans l’autoréférence, de sorte qu’un changement de séquence ne fait pas perdre la piste tracée par De Niro. Alors le film s’envole un peu haut & j’ai perçu la réception comme mauvaise, mais Taxi Driver n’en reste pas moins, à y regarder de plus près, l’histoire fascinante d’un anonyme, dont la vie n’a d’intérêt que prise de loin. Pourtant, on se sent à tout instant proche de lui.
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