En quête de l’infini et au-delà, le studio Pixar a longtemps affirmé son autorité dans le monde de l’animation. Que ce soit sur le plan artistique ou émotionnel, cette filiale a su se démarquer de son parrain, le rongeur aux grandes oreilles. Malheureusement, créer et innover étaient de belles promesses que l’on peut croire éteintes aujourd’hui. Ce savoir-faire, magique et miraculeux et souvent artisanal, n’est plus. Conceptuellement très proche de "Toy Story" et de ses enseignements, profondément humains, "Vice Versa" avait tous les ingrédients pour surfer sur le même succès. Mais peut-on vraiment raconter plus que ce que le premier opus nous avait déjà offert ? Si aucun sentiment, et encore moins la tristesse, ne doit être occulté dans la vie, il en va de même pour toutes les imperfections qui composent le savoir-être de Riley, une adolescente qui continue de se chercher, quitte à trébucher, recevoir des coups ou décevoir son entourage. Le programme, aussi honnête et candide soit-il, tombe fâcheusement dans le piège de la suite de trop, trahissant les bases et la continuité d’une franchise noyée dans l’œuf.
Loin d’être le fer de lance d’un studio à l’agonie, Kelsey Mann succède à Pete Docter, scénariste et directeur artistique clé qui a forgé l’identité de Pixar. Il a enfin droit au premier plan, mais ni lui, ni ses scénaristes ne parviennent à susciter de l’intérêt dans ce projet trop convenu et mal aimable. Avant de démarrer dans la joie et la bonne humeur, place à une présentation exhaustive des émotions. Passé la voix off assourdissante de Joie et cette ouverture très anecdotique, il faut ensuite se résoudre à repasser par le même schéma narratif que le premier volet. À croire que les personnages n’ont rien appris de leurs erreurs. Un nouvel environnement approche et va vraisemblablement bousculer les habitudes de Riley, qui a enfin accepté la part de tristesse qui la fait avancer. Soucieuse de vouloir s’intégrer dans un nouveau groupe, la jeune fille va se laisser submerger par des émotions, a priori plus complexes que le quintet précédent. Mais au lieu de se manifester comme des émotions complémentaires ou évoluées, elles se livrent à un coup d’État, chamboulant par la même occasion tout le « sens de soi » que Riley (ou bien est-ce Joie ?) s’est bâtie.
S’il n’y a toujours rien à reprocher quant à la maestria technique et visuelle que les films Pixar ont à nous donner. On note le progrès, mais il s’agit d’un minimum syndical lorsque l’on entreprend une suite, qui n’en est pas vraiment une. Il ne suffit pas générer des particules en abondance sur la silhouette des petits héros colorés pour nous convaincre, car l’ensemble reste peu inventif pour suivre un rythme soutenu, sans temps mort. Entre passage obligatoire et thématique essentiel pour le jeune public, le second chapitre de Ridley se vante de porter une réflexion sur la puberté, s’il en est. Elle fut pourtant généreusement et ludiquement traitée dans Alerte rouge. Ici, elle se résume à des sauts humeurs aléatoires et une odeur corporelle changeante. Si le film ne passait pas son temps à rire de ces clichés au lieu de les développer dans la durée et avec pertinence, nous aurions sans doute eu plus d’emphase avec la crise de Riley. En trois jours de stage de hockey, c’est essentiellement la perte de l’enfance qui se joue, avec une belle remise en question sur l’amitié. Pourquoi pas en soi, rien n’est encore perdu à ce stade du long-métrage, mais le mouvement suivant provoque un effet boule de neige inarrêtable, même au terme du générique de fin.
Le conflit intérieur entre Joie et Anxiété relègue la majorité des autres émotions à des outils gaguesques ou bien pour illustrer des troubles bien connus des adolescents. Nous progressons donc dans l’inconnu, mais l’univers reste trop familier pour qu’on y distingue une éventuelle crise existentielle, si ce n’est par le biais de mauvaises décisions, prises les unes à la suite des autres. Puis, vient un passage outrageusement sarcastique, qui n’est là que pour brosser le portrait d’animateurs surexploités et sous-valorisés. Cet aparté est malheureusement sans incidence et ne constitue qu’une alternative à l’usine de rêves et de cauchemars que l’on a pu voir précédemment. L’intrigue émiette ainsi tout ce qui peut toucher à la confusion d’une adolescente anxieuse d’une éventuelle, et nouvelle, solitude.
Et que dire de l’accompagnement sonore d’Andrea Datzman ? Tout simplement inexistant. Ce détail est symptomatique de tout ce qui va de travers dans ce film, qui sacrifie toute la sensibilité de son propos, aussi bancal soit-il. Ce qui lui fait également perdre tout pouvoir lacrymal, car l’humour reste le seul argument de cette aventure introspective. Mais là encore, c’est la douche froide, c’est le dernier clou dans un cercueil vidé de son âme. "Vice Versa 2" commet ainsi l’irréparable en décalquant une structure déjà connue du public. Quant à l’expansion cérébrale et émotionnelle, on rétropédale jusqu’à la dernière séquence, car ce sont finalement toujours les mêmes aux commandes de Riley, dont l’avenir semble formaté. Une leçon assez dangereuse à transmettre, quand bien même elle ne soit pas volontaire.