LOVE est un excellent film sur le fond, d'esprit plutôt libertaire, dont la qualité se trouve amoindrie par une multiplication de scènes trop étirées, qui suscitent un certain ennui, somme toute relatif. Ken Russel y déploie la lutte des sexes et y explore la question de l'engagement amoureux. Dès le début, la caméra effectue de drôles de mouvement, elle fait tourner la tête; les plans s'enchaînent en se bousculant, ce qui vise de la même manière à confondre quelque peu les sens. Ce montage perturbant évoque le profond dérèglement qui anime les caractères. Il est difficile de savoir où l'on va et c'est d'abord longuet, mais il faut s'accrocher car les clashs et les retournements éclatent au tournant. La saveur de l'histoire prend alors qu'on a déjà bien avancé dans le film. On évolue dans le milieu de la bourgeoisie anglaise, au sein d'une ville minière des Midlands, dans les années folles. Au sein de ce microcosme viennent éclater le rapport des sexes et s'entrechoquer les valeurs, comme un écho prématuré à 1968. On y danse, on s'y baigne à poil, on s'y salit, on en perd la tête; ça n'est pas non plus sulfureux, sauf peut-être pour l'époque où le film est sorti. L'aspiration à l'amour y est peint sous ses différentes facettes, exprimées dans les interactions entre les personnages mais aussi de manière particulièrement métaphorique et allégorique, quitte à insister lourdement. On parcourt les sentiments fous qu'induit l'amour, sans mièvrerie, à l'exception du volet illustrant l'amour pur, cependant délibérément kitsch. Le désir homosexuel n'y est pas absent, même s'il s'exprime de façon détournée et indirecte, en particulier à travers la fameuse scène de lutte au salon, chargée d'un homoérotisme palpable. L'histoire révèle une double faille dans l'imagerie désuète de l'amour romantique: la configuration sexuée (bisexualité, homosexualité) et les limites de la monogamie, ce qui met fin à tout calcul rassurant. Rupert, le personnage principal (Alan Bates), peint d'abord comme un provocateur à tendance subversive, s'estime en quête d'un sentiment de plénitude absolue. Fougueux, il peine néanmoins à trouver son idéal, en butte aux sentiments compassés et aux affectations ridicules de son milieu. L'amour qu'il est prêt à obtenir ne parvient pas à le combler: la persistance de résistances le chagrine et ses contradictions minent son enthousiasme. Que son bonheur dépende d'un seul être équivaut à vider le reste du monde de son intérêt. Il lui en faut plus, bien plus de liberté que ce qu'offre ce simple amour à deux, piège magnifique qui se referme bien vite sur le couple asphyxié. Il rêve d'une communauté de vie façon hippie. Malheureusement, il se heurte à des esprits trop binaires, dualistes qui, certes, désirent rompre avec un passé poussiéreux mais qui ne parviennent pas à manifester une telle largesse de vue. Ainsi en va-t-il du personnage de Gerald Crich (Oliver Reed). L'amour, terme si galvaudé, bouscule les anciens référents; comme on cherche à le renouveler, on cherche sa voie, passionnellement, jusqu'à la folie. Et ce n'est pas un hasard si l'on voit passer autant de folles, de fous, de tarés même (Hermione, la mère Crich, le cavalier, etc.). Entré dans le rythme particulier du film, on peut en savourer les situations comme les dialogues, imprévisibles. L'ancien monde, plus sûr mais rigide et malade de frustrations, est déclaré mourrant; le nouveau, plus spontané, vient tout chambouler, mais il se heurte à la persistance de l'héritage ancien, qui implique un certain cynisme fait de fausseté, de compromissions et d'avidité. L'amour nouveau ne recule devant rien; il repousse les impasses, sauf que le mur est encore là, comme un obstacle infranchissable - une montagne de glace. Flirtant avec l'utopie, la haine, la mort, l'impossible, ce rêve peut-il enfin émerger? Malgré un style flamboyant et tourbillonnant, c'est souvent la mort qui plane, la dépression qui menace. LOVE (Women in love, mais aussi men in love) illustre ce chaos, entre désespoir et espérance, comme une annonce des années 1960-70 dans un milieu élitiste des années 1920. Il faut une certaine maturité pour en savourer la qualité (adolescent, je n'en avais pas perçu toutes les subtilités). Une illustration originale, puissante, languissante, irritante, terrifiante, vivifiante, servie par un superbe jeu d'acteurs.